Mission non accomplie : Gérer la diversité de l'Irak après deux décennies d'occupation Américaine

Universitaire spécialiste des minorités irakiennes et des droits de l’Homme, membre fondateur du Conseil irakien pour le dialogue interconfessionnel, Saad Salloum nous livre ses recherches sur l’échec de la reconstruction de la société civile irakienne à travers le prisme des minorités.

15 décembre 2022

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Saad Salloum au Centre français de recherche sur l'Irak le 3 juin 2022

Des photos de Yazidis tués en 2014 par des militants de l'État islamique, trouvées dans une petite pièce du sanctuaire de Lalish, dans le nord de l’Irak le 12 septembre 2019 ©Maya Alleruzzo/AP/SIPA


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Sur la place de Tour d'horloge à Bagdad, Irak, à 6 heures du matin, le 23 août 1921, le prince hachémite Fayçal Ier a été couronné roi d'Irak. Le prochain roi mettait le pied sur la terre d'un pays pluraliste caractérisé par une empreinte civique omniprésente. Beaucoup s'attendaient donc à ce que le jeune homme inexpérimenté, élevé par la tribu des Otaiba à Badia al-Hajaz, ressente une peur de la diversité religieuse, ethnique et linguistique, considérée comme un défi et une menace pour son règne, alors qu'il n'avait que 36 ans.

Après plus d'une décennie, le projet de construire une nation selon un paradigme national arabe, au cours duquel il a été confronté à une société rongée par la division, la désintégration et l'incapacité à imaginer une identité transitoire et inclusive. Il a rédigé un mémorandum en mars 1932, quelques mois avant sa mort, décrivant parfaitement le phénomène de la division et sa dynamique destructrice. Le mémorandum note que "l'Irak est un royaume dirigé par un gouvernement arabe sunnite fondé sur les ruines de la domination ottomane". Ce Gouvernement ayant des aspirations personnelles, il ambitionne de se détacher de la région kurde qu’il dirige, au motif qu'elle ne fait pas partie de leur race. Les chiites bien qu’étant pour la plupart excluent des élites sont pour leur part racialement affiliés au même gouvernement. Cependant, les persécutions causées par la domination turque, qui les empêchaient de participer à la gouvernance, "ont créé un fossé énorme entre le peuple arabe divisé en ces deux doctrines". Le mémorandum faisait également référence à "d'autres minorités chrétiennes » lesquelles ne doivent pas être négligées en raison de la politique internationale qui continue à les encourager à revendiquer d'autres droits. Ceci en raison des grandes différences entre les communautés soulevées par les « fauteurs de troubles ». Par ailleurs, la distinction opérée entre les assyriens et les chaldéens affaiblit les pouvoirs du gouvernement. Le mémorandum fait également référence à un autre défi : « l'état d'esprit des Bédouins, l'influence tribale des cheikhs et leur crainte de sa disparition face à l'expansion de l'influence gouvernementale ». Toutes ces différences, ces ambitions et ces précautions, à ce niveau, s'affrontaient et perturbaient la paix et la tranquillité du pays. Le mémo semble renvoyer à la politique du roi Fayçal consistant à gérer la diversité en utilisant « le pouvoir matériel et la sagesse ensemble pendant un certain temps, jusqu'à ce que le pays soit stabilisé, que ces différences disparaissent, que le vrai patriotisme se forme et que le fanatisme sectaire et religieux soit remplacé ».

Toutefois, dans les années qui ont suivi l'invasion de l'Irak en 2003 par les États-Unis, l'État irakien s'est révélé n'être qu’un moindre mal pour les minorités, jusqu'à ce que Daech envahisse la province de Ninive en 2014 et commette un génocide après que l'État ait échoué à protéger ses minorités.

La pleine lune se lève sur la statue du Roi Fayçal Iᵉʳ, dans le centre de Bagdad, en Irak, le mercredi 13 juillet 2022. ©Hadi Mizban/AP/SIPA

De Fayçal ler à Paul Bremer : la reconstitution de l'État

Le gouverneur civil Américain, Paul Bremer, était moins familier que le Roi Fayçal Ier avec la nature pluraliste de la société irakienne, et il ne parlait pas sa langue. Le modèle qu'il proposait pour gérer la diversité était bien moins inclusif et ce dans une volonté d’expansion de la puissance occupante. Néanmoins, le soi-disant remède au péché originel de la fondation de l'Irak moderne était de commettre un péché encore plus insensé. Le pays était passé d'un modèle d'État ou de nation, fondé sur une identité d'intégration générale, l'identité arabe, à un système fondé sur la reconnaissance de la nature pluraliste de la société irakienne sous l'égide de l'idée " d'État ou de composantes ". Cette dernière soutenait les identités fragmentées au détriment d'un référentiel identitaire national inclusif, d'une part, et d’autre part réduisait l'individu à des identités imaginaires, des composantes de la nation.

Le Conseil gouvernemental a été établi le 12 juillet 2003, par décision de l'autorité unifiée de la coalition présidée par Bremer et s'est vu accorder des pouvoirs partiels dans la gestion des affaires de l'Irak. En tant que nouveau moment fondateur, le Conseil a consisté en une représentation des différentes composantes de la société, ce qui n’est pas habituel dans le monde arabe. La représentativité du Conseil ne reposait pas sur des fondements strictement politiques, à travers la représentation des partis et mouvements politiques d'opposition, qui se sont réunis sur la nécessité de renverser le régime de Saddam Hussein, ni sur la religion, à travers la représentation de la diversité religieuse et ethnique, ni sur la recherche d'un équilibre fort entre la représentation Irakienne à l'intérieur et à l'extérieur. Toute tentative de classification de la composition du conseil d'administration selon un seul critère serait vouée à l'échec, mais, en fin de compte, par la nature de sa représentation, elle reflète une "approche Américaine" dans la formation d'un cadre représentant les composantes de la société Irakienne comme "le modèle de l'État composant".

La prise en compte du poids démographique des trois grands groupes : chiites, sunnites, kurdes avec une représentation limitée du reste des petits groupes, reconnaissant ainsi le poids démographique des grands groupes avec une représentation symbolique des minorités, abouti à un accord tripartite de partage du pouvoir entre les élites politiques des trois groupes, qui à leur tour détermineraient l'identité du pays et rédigeraient sa Constitution. Cette concurrence entre ces élites pour le pouvoir déterminera le futur du pays dans les années à venir.

Cependant, la représentation envisagée par le gouverneur civil américain Paul Bremer correspondait à des considérations politiques, plutôt qu'à un effort équitable de représentation des différentes composantes de la population. La nouvelle entité représentative, le Conseil gouvernemental, ne contenait pas de représentants des Mandéens, des Juifs, des Shabaks, des Yézidis, des bahá’ís, des Irakiens d'origine africaine, des Arméniens, des Syriaques ou des Chaldéens. Cependant, les groupes plus importants tels que les chiites, les sunnites ou les Kurdes étaient clairement représentés. Finalement, seule une place a été laissée à un chrétien Assyrien, et une autre au représentant des Turkmènes. Ce moment fondateur a institutionnalisé la division sociale entre les groupes en lui donnant un aspect politique et en l'encadrant dans l'institution officielle conçue d'en haut, en tenant compte de l'opinion de Bremer, qui correspondait d'une manière ou d'une autre à son point de vue déficient dans la compréhension des sensibilités des relations sociales ou religieuses entre les groupes ou au sein d'un même groupe. Bremer ayant fait une place pour le représentant des Chrétiens Assyriens, en excluant le représentant des Chaldéens, lesquels sont pourtant plus nombreux parmi les différents groupes Chrétiens, les Assyriens vont progresser dans ce qui est considéré comme la première représentation officielle des chrétiens de l'histoire moderne irakienne. Dans ses mémoires, Bremer justifie son choix en disant que les Chrétiens d'Irak étaient fragmentés « comme toutes les sectes religieuses du pays ». Par ailleurs les Chaldéens semblaient être plus nombreux que les Assyriens mais ils n'étaient pas aussi bien organisés et ils étaient moins efficaces politiquement.

Des photos de Yézidis tués en 2014 par des militants de l'État islamique, trouvées dans une petite pièce du sanctuaire de Lalish, dans le nord de l’Irak le 12 septembre 2019 ©Maya Alleruzzo/AP/SIPA

Un système de reconnaissance officielle de la diversité religieuse

Le système de reconnaissance officielle prévu par la Constitution inclut le pluralisme religieux, national et sectaire, notant que « l'Irak est un pays multinational, multireligieux et multidénominationnel ». En plus de l'Islam, la Constitution reconnaît trois autres religions, faisant référence aux « pleins droits religieux de tous les individus, à la liberté de croyance et de pratique religieuse, tels que les Chrétiens, les Yézidis et les mandéens ». Elle mentionne également certaines minorités nationales telles que « les Turkmènes, les Chaldéens et les Assyriens ». Néanmoins, la fin du dernier article constitutionnel indique que la référence de la Constitution aux minorités ne contient pas une liste exhaustive des groupes devant bénéficier d'une protection, mais prévoit plutôt que tous les groupes bénéficient d'une protection, qu'ils soient religieux ou nationaux. Toutefois, cela n'empêche pas la revendication d'autres minorités telles que : bahá’ís, Kakaïs, Feylis, les Irakiens d'origine africaine, les Syriaques qui sont chrétiens, tout comme les Arméniens qui demandent à être mentionnés en tant que nation indépendante, de même que les Arabes, les Kurdes et les Turkmènes, sans tenir compte du déterminant religieux Chrétien de leur identité. Bien que le Gouvernement fédéral et le Gouvernement régional du Kurdistan aient fait quelques progrès dans la protection des minorités pendant les années d'occupation du pays, ils n'ont pas adopté de mécanismes juridiques ou pratiques pour mettre en œuvre un cadre de protection efficace. En outre, l'État n'a pas fait de progrès concrets sur la question des dispositions de la loi irakienne discriminatoires ou susceptibles de l'être. L’État ne prévoit pas non plus de recours adéquat au système judiciaire, d'indemnisation ou d'autres arrangements pour remédier aux persécutions et aux discriminations passées et présentes commises à l'encontre des groupes vulnérables de la population. Cependant, la destruction systématique de la diversité religieuse, ethnique et linguistique opérée par Daech et les pressions de la communauté internationale ont provoqué l'adoption de certaines mesures importantes à cet égard, telles qu’une loi relative aux droits de la population du Kurdistan irakien de 2015 et la loi des survivants Yézidis de 2021.

Des femmes à l'église orthodoxe assyrienne de Mart Shmoni, à Bartella en Irak, le 24 décembre 2016 ©Felipe Passolas/SIPA

De la reconnaissance à la participation politique effective

L'article 2-2 de la Constitution Irakienne de 2005 mentionne nommément des minorités spécifiques : les chrétiens, les Yézidis, les Sabéens-Mandéens, et l'article 125 de la Constitution mentionne des minorités nationales telles que les Turkmènes, les Chaldéens et les Assyriens. Omettre certaines minorités telles que les Kakaïs, les bahá’ís, les Irakiens d'origine africaine ou les Zoroastriens a imposé une contrainte sur l'activation de leur participation politique. La seule exception était les Shabaks, une minorité vivant dans la plaine de Ninive avec les Chrétiens et d'autres minorités. Bien qu'ils n'aient pas été mentionnés dans la Constitution, ils ont formé des courants politiques qui représentaient leur identité de manière indépendante, et ont exigé d'être officiellement mentionnés dans la Constitution par l'intermédiaire de leurs représentants au Parlement fédéral. Ils ont souligné l'importance d'adopter ce point dans les amendements constitutionnels à l'article 125, et ils ont également obtenu un quota pour les Shabaks au Parlement fédéral.

La non-reconnaissance des minorités reste un obstacle qui conduit finalement à la marginalisation des minorités et à leur exclusion du processus politique. Cependant, d'autres raisons, extérieures à la reconnaissance de l'État, font obstacle à la participation politique des minorités, notamment des raisons internes au groupe lui-même, qui peuvent être dues à la nature de la croyance religieuse suivie par les membres de la minorité concernée. En effet, les croyances religieuses constituent toujours un obstacle à la participation politique des bahá’ís, dont les croyances interdisent de se mêler des affaires politiques. Il en va de même pour les Kakaïs qui n'ont pas d'expression politique claire et qui ont été privés de l'expression de leur identité en dehors du cadre kurde. Les lignes de division au sein de certains groupes minoritaires ont également affaibli leur efficacité et leur influence pour parvenir à une représentation politique effective, comme les feylis, pour lesquels plusieurs expressions politiques sont apparues sous la forme de partis, de mouvements ou d'associations qui n'ont pas été encadrés par un seul organe représentatif, et leur vote a eu tendance à se concentrer sur les questions de politique générale. Leur vote a eu tendance à être distribué en fonction de divers déterminants ethniques des partis kurdes et des sectes des partis chiites. Le même cas pour les Turkmènes est contesté par des déterminants nationaux turkmènes ou confessionnels tels que les sunnites et les chiites. Quant aux chrétiens, les partis représentant les diverses confessions sont divisés en 14 branches officiellement reconnues. Chaque branche ayant continué à vivre dans un état d'agitation politique au milieu de conflits majeurs, restant dans l'incapacité à cristalliser des symboles politiques unifiés pour le corps chrétien. Le peuple "Chaldéo-Assyrien Syriaque" a tenté d'inclure ces groupes chrétiens divisés ethniquement entre les Chaldéens, les Assyriens, les Syriens et confessionnellement entre les catholiques, les orthodoxes et les protestants dans une désignation imaginaire qui est la plus importante parmi tous les groupes de population.

À la lumière de ce qui précède, nous constatons que la représentation des minorités n'incluait pas les minorités nationales et religieuses qui n'étaient pas mentionnées dans la constitution, telles que les bahá’ís, les Kakaïs, les Zoroastriens, les Afro-Irakiens, le Caucase, l'Irak des Circassiens, la Tchétchénie et le Daghestan, ou leur représentation était faible et symbolique comme le reste des minorités.

Face à la non-reconnaissance persistante de la participation de certaines minorités, les activistes afro-irakiens ont créé un mouvement politique, le "Mouvement des Irakiens libres", lequel exprime leurs aspirations, défend leurs causes et cherche à faire revivre leur identité. Néanmoins, il semble qu'il ait été confronté aux défis d'un financement faible, et à la domination des grands courants politiques qui n'ont pas permis la perte d'un bloc de vote important. Par conséquent, il n'a pas réussi à envoyer son représentant au Parlement ou au Conseil provincial. À cela s'ajoute l'assassinat de l'éminent militant Afro-Irakien Jalal Diab, en 2013, qui a porté un coup sévère aux revendications de la minorité marginalisée, concentrée à Bassora, dans le sud du pays.

Toutefois, la situation n'est pas entièrement sombre. En 2015, « la loi des droits des composants dans la région du Kurdistan » a élargi la reconnaissance de la diversité religieuse dans la région pour inclure les Zoroastriens, les kakaïs, les Juifs, les Mandéens et les Chrétiens, avec une reconnaissance symbolique des bahá’ís. Chacun d'entre eux a bénéficié d’un représentant au ministère des dotations et des affaires religieuses au sein du gouvernement régional. Cette représentation est considérée comme l’incarnation d’un espace de reconnaissance, une solution à la non-reconnaissance constitutionnelle. Afin de comparer la représentation des minorités dans la région du Kurdistan et dans le Gouvernement fédéral, le Parlement du Kurdistan comprend 111 sièges. Ces sièges sont répartis entre les composantes du Kurdistan : cent sièges pour les Kurdes, cinq sièges pour les Turkmènes, cinq sièges pour les Chaldéens, les Syriaques-Assyriens, et un siège pour les Arméniens. Quant au Parlement fédéral, il est composé de 328 sièges, répartis comme suit : 320 sièges pour les musulmans, cinq sièges pour les chrétiens, et un siège chacun pour les Yézidis, les Mandéens et les Shabaks.

Il ne fait aucun doute que la simple reconnaissance ou participation politique ne suffit pas à garantir que cette participation est « effective » et qu'un certain nombre de considérations doivent être prises en compte, notamment le fait que les représentants des minorités ont le pouvoir de prendre des décisions importantes et influentes sur des questions importantes pour leur société. Dans le cas contraire, leur participation sera plus symbolique qu'"effective". D'un point de vue pratique, la représentation politique des minorités était au mieux symbolique ou inefficace au milieu de la lutte des grands blocs. Les représentants des minorités devaient traiter ou établir des relations avec l'un des grands blocs, en particulier avec les deux plus grands que sont les chiites et les Kurdes. Par conséquent, les représentants des minorités ont généralement soutenu les positions politiques de l'un des grands blocs plutôt que de représenter les problèmes de leurs minorités et d'exprimer leurs ambitions.

Des Kurdes irakiens en haut de la montagne de la ville d'Akre, dans le gouvernorat de Duhok, l'un d'eux tenant une torche enflammée pendant la célébration de Nowruz. © SOPA Images/SIPA

Gestion de la diversité ou gestion des conflits

L'exemple le plus marquant du défi que représente la gestion de la diversité du régime constitutif est peut-être la nature de la gestion des zones minoritaires dans les plaines de Ninive et de Sinjar, alors que le gouvernement régional du Kurdistan a exprimé l'ambition d'annexer ces zones à la région, de telle sorte que les minorités puissent bénéficier d'un statut administrativement indépendant sous l'influence de la région du Kurdistan et en tant que partie de son territoire.

Dans cette perspective, les zones minoritaires du Sinjar et des plaines de Ninive, qui sont administrativement affiliées au gouvernorat de Ninive, sont considérées comme des "zones contestées". Une "approche constitutionnelle" pour résoudre le conflit sur la propriété des zones contestées a été incluse dans le texte de l'article 140 de la Constitution, mais le sort et la propriété de ces zones restent ambigus, et il semble qu'ils seront finalement laissés à la négociation et à l'accord politique entre Bagdad et Erbil.

D'autre part, des appels ont été lancés pour activer les dispositions de la Constitution de 2005, qui prévoient la création d'une unité sous-administrative au-dessous du niveau du gouvernorat dans les zones minoritaires, ce qui pourrait impliquer l'octroi aux Yézidis du Sinjar et du Shabak et aux chrétiens des plaines de Ninive d'une formule d'indépendance administrative dans le cadre de l'État fédéral.

L'idée de l'indépendance administrative, selon cette approche, est basée sur l'octroi aux Yézidis, aux Chrétiens et aux Shabaks, ainsi qu'aux Turkmènes de Tall Afar, du droit de gérer leurs affaires politiques, économiques et éducatives de manière indépendante, conformément à la Constitution, qui stipule que "le système fédéral de la République d'Irak est composé d'une capitale, de régions et de gouvernorats décentralisés" et d'administrations locales. La Constitution comprend des dispositions relatives aux régions, aux gouvernorats et à la capitale. L'article 125, sous le titre "Administration locale", garantit les droits administratifs, politiques, culturels et éducatifs des différentes minorités nationales dans ces régions. Toutefois, cet important article constitutionnel n'a pas été transformé en une loi pouvant être appliquée de manière à garantir une gestion efficace de la diversité.

Contrairement à ce scénario, l'idée de créer des gouvernorats pour les minorités a été proposée, et la loi provinciale n° 21 de 2008 a organisé la création de districts et de sous-districts, mais elle n'a pas abordé la création de nouveaux gouvernorats. Le seul moyen disponible pour créer un gouvernorat est la rédaction d'un projet de loi par le Conseil des ministres, sa soumission au Parlement pour discussion et son approbation. La difficulté face à cela est que la présentation de la proposition, si elle est appliquée au Sinjar, à la plaine de Ninive et à Tall Afar, rencontrera une forte opposition des blocs arabes du gouvernorat de Ninive et de leurs alliés au Parlement, qui la considéreront comme une division du gouvernorat de Ninive ou une fragmentation des zones d'influence des forces politiques arabes sunnites. La conséquence serait la mobilisation de ce soutien des blocs arabes sunnites au sein du Parlement contre tout consensus parlementaire entérinant cette idée.

Cependant, l'occupation par l’État islamique des zones minoritaires des plaines de Ninive et du Sinjar a mis en évidence l'approche « internationalisée » de la région. Les élites chrétiennes et yézidies ont proposé l'internationalisation de l'administration de ces zones comme une réponse à la frustration de l'échec et de la faiblesse du gouvernement fédéral et du gouvernement régional du Kurdistan dans la protection des minorités. La reconnaissance internationale du génocide contre les minorités a renforcé les efforts de ces élites dans la recherche d'une partie internationale pour soutenir cette approche, surtout à la lumière du manque de volonté politique interne suffisante pour mettre en œuvre l'une des approches précédentes, ce qui a généré un désir d'obtenir des garanties internationales pour établir une zone sûre avec un parrainage international.

Nous devons comprendre les débats internes des Yézidis et des Chrétiens concernant la zone de sécurité pour les minorités à la lumière des complexités ou de l'irréalisme des scénarios précédents. Les représentants des chrétiens et des yézidis parlent souvent de la nécessité d'établir une zone sûre, mais sans clarifier leur base constitutionnelle ou la méthode d'auto-administration ou d'administration conjointe de cette zone, ou bien ils excluent leurs voisins ou partenaires du reste des minorités comme la plaine de Ninive comprend, par exemple, un nombre de Shabaks qui est plusieurs fois supérieur au nombre de chrétiens. Pourtant, en fin de compte, nous devons comprendre que la demande de protection internationale n'est qu'une option présentée comme une alternative aux scénarios ci-dessus, et qu'elle peut conduire - du point de vue des minorités - à débarrasser leurs régions de ce conflit arabo-kurde récurrent. Cela peut également encourager un retour sûr et rapide des personnes déplacées en fournissant des garanties internationales après ce qui s'est passé à la suite du génocide de 2014.

La reconnaissance par le Congrès américain en mars 2016 du génocide des chrétiens et des autres minorités a encouragé les partisans du scénario international et leur a donné l'illusion d'un soutien inconditionnel des États-Unis. Ensuite, les parties prenantes du scénario de la zone de sécurité ont trouvé leur opportunité historique dans la résolution n° 152 émise par la Chambre des représentants des États-Unis le 9/9/2016, qui a soutenu l'idée d'établir un gouvernorat Chrétien dans la plaine de Ninive a souligné que les communautés Irakiennes de la population autochtone de la plaine de Ninive, les Assyriens, les Chaldéens, les chrétiens syriaques, les Yézidis et autres ont le droit à la sécurité et à l'autodétermination au sein de la structure fédérale de la République d'Irak .

Malgré l'optimisme des auteurs de cette décision au moment de sa publication, il n'y a pas de vision claire de la manière dont la décision américaine sera mise en œuvre, et de la manière dont les institutions exécutives seront impliquées dans sa mise en œuvre. Bien sûr, ceci ne peut être atteint sans une vision unifiée pour les élites des minorités, et l'apparition d'un consensus kurde-arabe, ce qui semble être une tâche complexe au milieu des conflits internes arabo-kurdes et de la dispersion des élites des minorités et de leurs divisions.

Des adeptes du mandéisme prient le long du fleuve Tigre lors de la célébration du Jour de la Prospérité dans le centre de Bagdad, en Irak, le 1er novembre 2022. ©Hadi Mizban/AP/SIPA

Cent ans d'une mission non accomplie

Vingt ans après l'occupation Américaine, le système des composantes n'a pas réussi à établir une organisation alternative de gestion de la diversité. À chaque nouveau cycle électoral, un conflit surgit autour du partage tripartite du pouvoir entre les trois grands groupes : les chiites, les Kurdes et les sunnites. Tandis que l'exode des minorités se poursuit et que la crise de méfiance entre les différents groupes de population s'amplifie.

Cent ans après le lancement de la stratégie de gestion de la diversité du roi Fayçal Ier, reposant sur l'idée d’un État centralisé et d’un renforcement de la loyauté à son égard de manière à faire dépérir et disparaître les loyautés pré-étatiques, cette stratégie plane toujours car il semble que les politiciens de Bagdad n'aient pas été complètement libérés du fantôme d’une centralisation hégémonique, et face aux profondes divisions sociétales, l'idée d'un État fort et qui dirige avec une poigne de fer, restera séduisante.

Nous pouvons également compatir aux sentiments de Fayçal Ier lorsque nous discutons avec des hommes politiques dans la sphère décisionnelle. En effet, nous ressentons immédiatement la frustration publique dominante qui correspond pleinement aux mots du mémorandum influent du Roi. Ce dernier reflète la frustration qu'il ressentait profondément en raison de l'échec de son projet de construction d'une identité nationale Irakienne : « Malheureusement, je crois qu'il n'y a pas encore de peuple Irakien en Irak, mais plutôt des blocs humains artificiels dépourvus de tout sentiment national, imprégnés de traditions religieuses et de mensonges qui les éloignent. Ils sont enclins au chaos et toujours prêts à se soulever contre tout gouvernement. Ainsi, il devrait être évident pour qui connaît la difficulté de former et de fonder une nation dans de telles circonstances, que de grands efforts doivent être déployés pour achever la construction et cette fondation. »

Les difficultés soulignées par le défunt Roi continueront à se dresser face à tout gouvernement Irakien dans le présent et l'avenir. Par conséquent la tâche reste inachevée, ou plutôt impossible à accomplir, à moins qu'une gestion rationnelle de la diversité ne soit conçue en coopération avec les différents groupes de population.

Des manifestants turkmènes, dont l'un est enveloppé dans du fil barbelé, manifestent à Bagdad pour demander que les droits des Turkmènes soient garantis dans le futur Irak, le 25 février 2004 ©HADI MIZBAN/AP/SIPA

Pour citer cet article :
Saad Salloum, “Mission non accomplie : Gérer la diversité de l'Irak après deux décennies d'occupation Américaine", Centre français de recherche sur l'Irak (CFRI), 16/12/2022 [en ligne]. URL : https://cfri-irak.com/article/mission-non-accomplie-gerer-la-diversite-de-lirak-apres-deux-decennies-doccupation-americaine-2022-12-15


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