Un an au pouvoir : le bilan du gouvernement de Mohammed Chia al-Soudani

Corruption, droits de l’homme, relations avec les États-Unis, tensions avec les Kurdes et les sunnites, vol du siècle… Pour le CFRI, Yahya Al-Kubaisi dresse un bilan détaillé de la première année au pouvoir du Premier ministre irakien Mohammed Chia al-Soudani.

3 janvier 2024

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Le Premier ministre irakien Mohammed Chia Al-Soudani s'exprime lors du forum international de la Semaine russe de l'énergie 2023 au Manège de Saint-Pétersbourg, à Moscou, le 23 octobre 2023.

Sur cette photo publiée par le bureau de la présidence iranienne, le Premier ministre irakien Mohammed Chia Al-Soudani assiste à une conférence de presse conjointe avec le président iranien Ebrahim Raïsi au palais de Saadabad à Téhéran, Iran, lundi 6 novembre 2023.


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Yahya Al-Kubaisi
Consultant pour Iraqi Center for Strategic Studies (ICSS), basé à Amman.
4 Articles

Ce rapport vise à évaluer la performance du gouvernement irakien qui a prêté serment le 27 octobre 2022, après une année d'incapacité du Parlement irakien à former un gouvernement suite aux élections législatives anticipées du 10 octobre 2021. Il se concentrera sur des points spécifiques énoncés dans le programme électoral du gouvernement soumis au Parlement pour un vote de confiance, et offrira un aperçu de l’action du Premier ministre, Mohammed Chia Al-Soudani.

Mohammed Chia Al-Soudani : son parcours

Mohammed Chia Al-Soudani est le premier Premier ministre irakien à ne pas avoir de liens avec des groupes d’opposition en dehors d’Irak, ce qui le distingue de ses six prédécesseurs après 2003. Avant 2003, il n’était pas impliqué dans des activités politiques. Après avoir achevé ses études au Collège d’agriculture de Bagdad, il a travaillé en tant que fonctionnaire. En 2004, après l’occupation, il est devenu maire de la ville d’Al-Amarah, probablement en raison de son affiliation au Parti islamique Dawa - Organisation irakienne, qui a potentiellement influencé sa nomination. Lors des premières élections des conseils provinciaux en janvier 2005, il a remporté un siège en tant que candidat de ce même parti (selon le système de liste fermée). Son succès s’est poursuivi lors des élections de 2009 au sein de la Coalition pour l’État de droit, où il a à nouveau triomphé en tant que représentant du parti islamique Dawa, recueillant un total de 2 672 voix.

Après la formation du deuxième gouvernement de Nouri al-Maliki - approuvé par le Parlement en décembre 2010 - Soudani a été nommé ministre des Droits de l’homme par le Parti islamique Dawa - Organisation irakienne. Il a ensuite remporté un siège aux élections parlementaires de 2010 au sein de la Coalition pour l’État de droit pour la province de Bagdad (recueillant 7 584 voix). Par la suite, il est devenu ministre du Travail et des Affaires sociales dans le gouvernement de Haider al-Abadi, approuvé par le Parlement en septembre 2014. Il a également remporté les élections législatives de 2018 au sein de la Coalition pour l’État de droit (avec 14 326 voix).

Le 13 décembre 2019, Soudani annonce sa démission du Parti islamique Dawa - Organisation irakienne et de la Coalition pour l’État de droit. En janvier 2021, il forme le parti Mouvement national des deux Euphrates et en devient le secrétaire général. Il se présente avec succès aux élections législatives anticipées d’octobre 2021 (obtenant 5 333 voix dans le septième district de Bagdad), décrochant le seul siège pour son parti. Cependant, après la démission de 72 députés du Mouvement sadriste, son parti a obtenu deux sièges supplémentaires, pour un total de trois sièges au Parlement.

La biographie de Mohammed Chia Al-Soudani révèle son adhésion tardive au Parti islamique Dawa - Organisation de l’Irak, dont il est resté membre jusqu'en 2019. Ce parti a émergé en 1999 à la suite d'une scission du Parti islamique Dawa. Parallèlement, il est resté affilié à la Coalition pour l’État de droit au moins jusqu'en 2014. Cependant, son mandat en tant que ministre des Droits de l’homme a suscité des débats, notamment après l'annulation d'un rapport crucial sur les conditions carcérales, un an après son entrée en fonction. Ce rapport jouait un rôle essentiel dans la surveillance des droits de l’homme dans les prisons et les centres de détention. Il a également interrompu la publication d'un rapport préparé avant son arrivée en poste en 2010, publiant seulement le rapport annuel de 2011, jugé moins professionnel que les précédents.

Politiquement, Soudani a maintenu sa présence électorale, remportant à peine les élections à Maysan et à Bagdad, mais n'a pas réussi à créer une force politique influente dans la scène chiite. Sa nomination par l'Itar (l'alliance chiite à l'exception du Mouvement sadriste) suit une logique similaire à celle qui a mené à l'élection d'Adel Abdul-Mahdi en 2018 et de Mustafa Al-Kadhimi en 2020.

Le Premier ministre Mohammed Chia al-Soudani se fait photographier dans son bureau à Bagdad, en Iraq, le mercredi 1er mars 2023. 

En 2018, les alliances du Sairoon et du Fatah ont monopolisé la décision de nommer le candidat de consensus, avec le soutien explicite de Nadjaf (le bureau du grand ayatollah Sistani) et de Téhéran. La suite des événements a montré que ce candidat de consensus était contraire aux souhaits des Américains, ce qui a eu un impact négatif sur les relations entre les États-Unis et l’Irak, en particulier avec les sanctions américaines imposées à Téhéran. Il est clair que l’acteur politique chiite en a tenu compte lorsqu’il a désigné Mustafa Al-Kadhimi en 2020, après la démission du gouvernement Abdul-Mahdi à la suite des manifestations d’octobre et des violences qui s’en sont suivies. L’acteur politique chiite (l’alliance du Fatah et le Mouvement sadriste) tenait à présenter à nouveau un candidat consensuel, mais cette fois, le candidat devait être acceptable à la fois pour l’Iran et pour les États-Unis. Il n’a rencontré aucune opposition de la part des factions chiites, y compris celles de Nadjaf.

En 2022, une situation similaire s'est répétée où l'Itar a joué un rôle dominant dans la nomination du candidat. Une fois de plus, il a été contraint de proposer un candidat de consensus, indépendamment de leurs préférences et de la dynamique du pouvoir. Ils ont opté pour un consensus pour éviter l'opposition des États-Unis, de l’Iran ou de Nadjaf, en choisissant une personnalité moins contestée et plus acceptée globalement.

Le programme électoral du gouvernement Soudani

Les programmes gouvernementaux exigés par la Constitution pour obtenir la confiance du Parlement sont souvent devenus des formalités politiques, utilisées pour valider des accords politiques sans réelle pertinence vis-à-vis du programme gouvernemental envisagé. De plus, il est fréquent que les délais spécifiés, même ceux inscrits dans la Constitution irakienne, soient systématiquement ignorés. 

Le programme gouvernemental, requis pour obtenir cette confiance, est défini comme un « plan réaliste et réalisable ». Il englobe des engagements spécifiques détaillés dans l' Agenda du gouvernement, approuvé par les forces politiques formant le gouvernement et considéré comme « partie intégrante » du programme gouvernemental. Ces engagements incluent une série de d’échéances auxquels le gouvernement s'engage à se conformer. Ces échéances peuvent servir de référence pour évaluer la première année du gouvernement, notamment :

-Mettre en place des outils efficaces de lutte contre la corruption dans un délai maximal de 90 jours après la formation du gouvernement.

-Faciliter le retour des personnes déplacées dans leurs régions d'origine dans les six mois suivant la formation du gouvernement, incluant celles déplacées de Jurf al-Sakhar, après avoir assuré leur sécurité.

-Attribuer et verser les cotisations des personnes concernées par les décisions du Haut Comité pour l'article 140 dans un délai d’un mois après la formation du gouvernement, en restructurant ledit comité dans le même délai.

-Soumettre un rapport final sur les personnes concernées par les procédures de la Commission pour la responsabilité et la justice dans les trente jours suivant la formation du gouvernement, avec des mesures législatives conformes à l'article 25 de la loi n° 10 de 2008.

-Aborder la question de l’emploi par procuration dans les institutions de l’État dans les six mois suivant la formation du gouvernement et le soumettre au Parlement pour vote sur trois sessions, tout en garantissant l'équilibre national dans ces institutions.

-Autoriser le gouvernement fédéral et le gouvernement régional du Kurdistan à négocier les questions du pétrole et du budget jusqu'à l'achèvement de la loi sur le pétrole et le gaz dans un délai de six mois.

-Promulguer la loi sur le Conseil fédéral dans un délai de six mois.

-Promulguer la loi sur la Cour fédérale dans un délai de six mois.

-Modifier la loi électorale dans un délai de trois mois et organiser des élections anticipées dans un délai d’un an.

-Promulguer la loi visant à annuler les décisions du Conseil du commandement de la révolution conformément à la décision du Cabinet n° 30 de 2012, sur la base du consensus entre les composantes, dans un délai de six mois, et indemniser les parties concernées.

Le programme du gouvernement comprend également une série d’échéances explicites ou implicites qui n’ont pas été respectées jusqu'à présent :

-Préparer un plan quinquennal de développement national pour les années 2023-2027 (à noter que le dernier plan quinquennal pour les années 2018-2022 a été publié en 2018).

-Superviser directement la mise en œuvre de la stratégie nationale d’éducation (2022-2031).

-Présenter une vision et un projet pour résoudre les différends entre le gouvernement fédéral et le gouvernement régional du Kurdistan conformément à la Constitution, notamment sur la loi sur le pétrole et le gaz, et la nécessité de législation.

-Établir un plan spécifique avec un calendrier pour le retrait des forces armées des villes.

-Projets de lois, notamment la loi sur le pétrole et le gaz ; la loi sur les retraites et la sécurité sociale pour le secteur privé ; la loi sur la fonction publique ; la loi sur les partenariats public-privé ; la loi sur le Conseil fédéral, préparation de projets de lois visant à conclure des accords stratégiques économiques et de développement avec des pays développés.

-Lancer un dialogue national pour revoir le processus politique.

-Remédier au manque de clarté des relations entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux et régionaux, conformément à la Constitution.

-Lancer un projet de reconstruction dans les zones privées, notamment à Sinjar et dans la région de la plaine de Ninive.

Aucun de ces engagements n'a été concrétisé plus d'un an après l'entrée en fonction du gouvernement.

Les relations avec les sunnites et les Kurdes

Le programme du gouvernement comporte des réformes politiques importantes, telles que l'engagement à amorcer un dialogue national pour évaluer le processus politique, mais cette initiative n'a pas encore vu le jour. Les relations avec les sunnites stagnent, reflétant davantage les schémas établis que des changements significatifs. Le refus obstiné d'une véritable répartition du pouvoir maintient la prédominance des acteurs politiques chiites sur les décisions politiques et sécuritaires en Irak. La poursuite incessante d’enquêtes, d’accusations et de procès politisés ont marginalisé les représentants sunnites, affaiblissant leur capacité à défendre les intérêts de leurs électeurs.

Les actions du gouvernement de Soudani révèlent un écart marqué dans la réalisation des promesses électorales. Des engagements clés tels que la reconstruction accélérée des zones libérées, la résolution des crises de déplacement, notamment à Jurf al-Sakhar, la dissolution de la Commission pour la responsabilité et la justice, la recherche d'un équilibre national dans les institutions, la collaboration pour retrouver les disparus, le plan de retrait des forces armées des villes, le déplacement des forces militaires et de sécurité (dont l’armée, la police et le Hachd al-Chaabi) hors des zones urbaines, le transfert de la sécurité aux forces locales, la révision des lois d'amnistie et antiterroristes, modifier la loi sur la fondation des martyrs pour supprimer la clause protégeant les martyrs contre des procédures de responsabilité et de justice, n'ont malheureusement pas été concrétisés.

Le programme électoral avait pour objectif de résoudre les tensions entre le gouvernement fédéral et les Kurdes en présentant une vision claire et conforme à la Constitution pour surmonter leurs divergences. Il prévoyait également une stratégie pour clarifier les relations ambiguës, incluant des lois cruciales concernant le pétrole et le gaz, ainsi que la création du Conseil fédéral dans un délai de six mois. En outre, il promettait le paiement ponctuel des montants dus selon les décisions prises, la formation rapide du Comité suprême pour l’article 140 et sa restructuration dans le mois suivant la formation du gouvernement. Cependant, l’examen des relations entre le gouvernement fédéral et la région kurde révèle la prééminence de la dynamique du pouvoir sur les impératifs constitutionnels. Le cadre structurel de l’État irakien a freiné toute avancée vers un véritable système fédéral, permettant au gouvernement fédéral d’imposer ses conditions à la région sans tenir compte des dispositions constitutionnelles.

Après le référendum sur l’indépendance du Kurdistan en 2017, un changement majeur dans les relations entre les factions a été perceptible. Les acteurs politiques chiites ont interprété cela comme un changement décisif en leur faveur au sein de l’Irak. Cette évolution a entraîné une redéfinition des termes de l’équation, mettant en avant une centralisation accrue, non seulement à Bagdad, mais également en faveur de la faction politique chiite. Cette tendance se manifeste dans les décisions politiques de la Cour suprême fédérale, qui transgressent de manière significative les dispositions constitutionnelles sur le pétrole et le gaz. En parallèle, la loi sur le pétrole et le gaz proposée par le gouvernement de Soudani semble être en résonance avec cette volonté de centralisation accrue.

En 2022, une décision du Tribunal fédéral a modifié les règles constitutionnelles d'origine. Cet arrêt a supprimé l’expression « champs existants » et a omis le mot « ensemble » concernant la gestion et l’élaboration des politiques telles que décrites dans le texte initial de la Constitution. En conséquence, l’ensemble du portefeuille pétrolier et gazier a été placé sous la juridiction exclusive du gouvernement fédéral.

Notamment, l’article 110, qui décrit les pouvoirs exclusifs des autorités fédérales, ne mentionne pas explicitement le pétrole et le gaz, ce qui indique une intention délibérée du législateur d’exclure ce sujet de l’autorité fédérale. L’article 112, quant à lui, stipule que « le gouvernement fédéral gère le pétrole et le gaz extraits des gisements actuels avec les gouvernements des régions et des gouvernorats » et que le gouvernement fédéral et les gouvernements des régions et des gouvernorats producteurs élaborent ensemble les politiques stratégiques nécessaires au développement des richesses pétrolières et gazières. Il est clair que les mots « avec » et « ensemble » de l’article 112 signifient que les régions et les gouvernorats producteurs de pétrole et de gaz sont un partenaire à part entière du gouvernement fédéral dans la gestion et l’élaboration des politiques stratégiques pour le pétrole et le gaz, en ce qui concerne exclusivement les gisements actuels, et non l’ensemble des richesses pétrolières et gazières de l’Irak. Cela signifie que la question de l’exploration du pétrole et du gaz et de leur extraction à partir des gisements « non actuels » relève de l’autorité des régions et des gouvernorats qui ne sont pas organisés en région.

Le projet de loi proposé par le gouvernement concernant le pétrole et le gaz présente une tendance à la centralisation extrême, consolidant le contrôle du secteur uniquement au sein du gouvernement fédéral. Bien qu’il ne contrevienne pas directement aux articles constitutionnels relatifs au pétrole et au gaz, il s’écarte de la philosophie sous-jacente qui a guidé le projet de loi initial présenté en 2007. Cette première version s’est heurtée à des obstacles et n’a jamais été promulguée en raison de désaccords. Toutefois, elle témoignait d’une plus grande adhésion aux dispositions constitutionnelles que la proposition actuelle.

Cette loi écarte notamment le rôle prévu des régions productrices et des gouvernorats, tel que mandaté par la Constitution. Au lieu de cela, la responsabilité de « gérer et développer les ressources pétrolières » a été confiée exclusivement au gouvernement fédéral. Bien que le troisième article de la loi stipule l’intention d’établir un cadre de coopération et de coordination entre les autorités fédérales et les régions et gouvernorats producteurs - un gouvernorat étant qualifié de productif si sa production dépasse 250 000 barils par jour, contre 150 000 barils par jour dans le projet de loi précédent - ces notions de coopération et de coordination semblent être des déclarations symboliques dépourvues de valeur substantielle ou de mise en œuvre pratique.

Dans la configuration proposée, le pouvoir de décision du Conseil fédéral du pétrole et du gaz, qui requiert une majorité des deux tiers ou une majorité simple, reste effectivement contrôlé par le gouvernement fédéral, en raison de la structure de formation du Conseil. Composé des ministres des Finances et des Ressources naturelles de la région du Kurdistan et des gouverneurs de trois gouvernorats productifs, notamment celui de Bassorah, la composition du conseil reste déséquilibrée. Même si, aussi improbable que cela puisse paraître, les autres gouverneurs ne sont pas alignés sur le gouvernement fédéral, le Conseil, composé de 13 membres, comprend le Premier ministre, trois ministres du gouvernement fédéral, le directeur de la compagnie pétrolière et gazière et trois experts nommés par le Premier ministre lui-même. Cette configuration confère essentiellement au Premier ministre le pouvoir de décision, lui accordant une influence substantielle et une emprise monopolistique sur la gestion du secteur pétrolier et gazier irakien, y compris la résolution des différends entre le gouvernement fédéral et les régions ou provinces productrices.

Dans le cadre du ministère fédéral du Pétrole, sa responsabilité de « gérer les champs de production de pétrole et de gaz dans toute la République d’Irak en coordination avec les régions et les gouvernorats producteurs » soulève des questions sur le contrôle exclusif proclamé par le ministère sur la gestion du pétrole et du gaz. Cette coordination et la participation à l'élaboration des politiques, présentes dans le libellé, semblent en désaccord manifeste avec le monopole décrit dans les articles du projet de loi. L'article 9, par exemple, confirme ce monopole en confiant à la Compagnie nationale de pétrole la responsabilité de « gérer, développer et exploiter les champs de production de pétrole et de gaz dans toute la République d’Irak en coordination avec les régions et les gouvernorats producteurs », excluant explicitement les champs actuels exclusivement, conformément aux dispositions constitutionnelles, ou les champs identifiés comme non développés, selon le projet de loi de 2007.

En parallèle, le manque flagrant de volonté politique pour résoudre les problèmes persistants, notamment les zones contestées, demeure évident. Malgré l'engagement du programme gouvernemental de « réformer le comité suprême de l’article 140 dans le mois suivant la formation du gouvernement », cette promesse est restée lettre morte. Ce comité, responsable de mettre en œuvre les mandats constitutionnels relatifs à la résolution des zones contestées, aurait dû traiter ces questions avant la fin de 2007 selon la Constitution. Pourtant, il est demeuré inactif depuis au moins 2014, se transformant en un « comité constitutionnel juridique, exécutif et ministériel ». De ce fait, sa supervision devrait relever d'un comité gouvernemental étant donné sa gestion par le gouvernement et la présence de ministres et d'autres fonctionnaires. Ironiquement, cette commission oubliée est dirigée par Hadi Al-Amiri depuis août 2011 et perdure même si ce dernier n'est plus membre du gouvernement depuis 2014.

Relations régionales avec l’Irak

L’Irak n’a pas été en mesure de formuler une stratégie de relations extérieures post-2003 basée sur les intérêts de l’État irakien. Au lieu de cela, les relations extérieures de l’Irak ont été soumises aux caprices et aux préjugés personnels des premiers ministres successifs et aux positions idéologiques et personnelles des forces politiques chiites qui monopolisent la prise de décision politique. Naturellement, ces relations sont également influencées par les changements dans les relations de l’Iran avec les pays de la région.

L’analyse de la position de l’Irak sur la question syrienne après le début de la révolution syrienne et les manifestations au Bahreïn en 2011 souligne l’absence d’une stratégie cohérente en matière de relations extérieures irakiennes. Les dynamiques sectaires influencent notamment ces relations. Les relations entre le Qatar et l’Irak ont également été affectées par ces facteurs, notamment par l’évolution des relations entre le Qatar et l’Iran. Nous avons assisté à un changement dans la nature des relations qatario-irakiennes à partir de la mi-2017 après la crise entre le Qatar et d’autres pays du Golfe. Le Qatar a été contraint de se tourner vers l’est, en direction de l’Iran, et vers le nord, en direction de la Turquie.

L'Irak n'a pas élaboré de stratégie de relations extérieures post-2003 basée sur les intérêts de l'État irakien. Au lieu de cela, ces relations ont été influencées par les penchants et les préjugés personnels des différents Premiers ministres et les positions idéologiques des forces politiques chiites, qui monopolisent les décisions politiques. Naturellement, ces relations sont également façonnées par les variations dans les relations de l’Iran avec les pays de la région.

Le Qatar est passé d’un État accusé de soutenir le terrorisme, selon la majorité des acteurs politiques chiites de 2003 à 2017, à un État dont les milices alliées en Irak ont kidnappé ses citoyens en 2015 et les ont libérés en avril 2017 contre une forte rançon financée par le gouvernement. Le Qatar est passé de la fermeture de sa célèbre chaîne d’information, Al Jazeera, en 2004, pour « incitation au sectarisme et à la violence ethnique », à un État ami visité par des premiers ministres successifs, d’Adel Abdul-Mahdi (2019) à Mustafa Al-Kadhimi (2022) et Mohammed Chia Al-Soudani (2023). L’émir du Qatar s’est également rendu en Irak en 2021 et 2023, concourant pour être l’un des pays investissant le plus en Irak en 2023.

Le Premier ministre irakien Mohammed Chia Al-Soudani, à droite, accueille le Cheikh Tamim bin Hamad Al-Thani du Qatar, à Bagdad, Irak, le jeudi 15 juin 2023.

En comparaison, le gouvernement de Mustafa Al-Kadhimi semble avoir été plus actif et structuré dans la gestion des relations extérieures. Malgré les intentions déclarées du gouvernement de Soudani, des réticences sont observées dans l'élaboration d'une stratégie de relations extérieures indépendante des facteurs influents évoqués.

Relations irako-américaines

Il y a eu un opportunisme manifeste dans les relations américano-irakiennes, surtout en dehors des forces kurdes. Dans les années 1990, après la promulgation de la loi de libération de l’Irak du président Bill Clinton, les États-Unis se sont engagés avec le Conseil suprême de la révolution islamique, dont ils savaient pourtant qu’il avait été fondé en 1982 par l’ayatollah Khomeini lui-même. Ce groupe avait déjà qualifié les États-Unis de « Grand Satan » et son slogan révolutionnaire de 1979 était « Mort à l’Amérique ». Adoptant le concept de « Wilayat al-Faqih » (conservateurs de la jurisprudence) et prônant un leadership absolu sous la direction de Khomeini, l’organisation disposait d’une aile militaire connue sous le nom de Brigade Badr au sein du système des Gardiens de la révolution iraniens. Cette organisation faisait notamment partie des six factions de l’opposition irakienne directement financées par les États-Unis dans le cadre de la loi sur la libération de l’Irak.

Après 2003, la situation n'a pas radicalement changé. Les forces chiites, y compris le parti islamique Dawa, ont dû s'engager dans le projet américain en Irak. Auparavant opposé à tout accord avec les Américains, le parti a réorienté sa position sous l'influence du Grand Ayatollah Ali al-Sistani, abandonnant ainsi sa référence précédente (son chef, Sayyid Muhammad Hasan Fadlallah, s’opposait à la participation du parti à tout gouvernement formé sous l’occupation). Cette adaptation a permis au parti de participer au Conseil de gouvernement formé par les États-Unis.

Pendant la période de présence américaine en Irak (2003-2011), les forces chiites ont adopté une posture ambivalente. Elles ont usé de propagande anti-occupation tout en faisant partie intégrante des gouvernements qui, chaque année, demandaient officiellement au Conseil de sécurité de l'ONU le maintien de la « force multinationale » en Irak.

Après la prise de contrôle de l’État islamique d’Irak et de Syrie (ISIS) en 2014, des appels ont été lancés pour le retour des forces américaines en Irak. De 2014 à 2019, les États-Unis ont mené des missions de combat dans le pays sous l’étiquette de la Coalition internationale contre le terrorisme, sans cadre juridique régissant leur présence. Les forces chiites, y compris les milices affiliées à l’Iran, ne s’y sont pas opposées.

La situation a changé en 2019 lorsque le terme « occupation » a refait surface dans le conflit entre les anciens Premiers ministres Nouri al-Maliki et Haider al-Abadi. Le premier a reproché au second la responsabilité d’avoir fait venir ces forces et de leur avoir accordé des bases permanentes sur le sol irakien sans en référer aux autorités irakiennes. Le second a répondu en affirmant que ces forces étaient présentes deux mois avant qu’il ne prenne ses fonctions de Premier ministre.

La même année, les premières attaques à la roquette contre l’ambassade américaine à Bagdad ont commencé. C’est aussi l’année où les États-Unis ont imposé des sanctions à Asa’ib Ahl al-Haq et à la brigade Al-Nujaba, puis aux brigades du Hezbollah l’année suivante. Ce revirement ne peut se comprendre que dans le contexte des changements importants intervenus dans les relations américano-iraniennes en 2018, à commencer par le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire et jusqu’aux sanctions annoncées par les États-Unis à l’encontre de l’Iran.

Cette histoire de manœuvres et de double jeu dans la relation entre l’Irak et les États-Unis révèle la position de l’Irak à l’égard des États-Unis. Elle n’est pas définie par une vision stratégique irakienne liée à la politique de l’État irakien mais constitue un ensemble d’approches opportunistes régies principalement par des intérêts immédiats et les relations américano-iraniennes. Par conséquent, les acteurs politiques chiites ont pris la décision inconstitutionnelle de mettre fin à la présence des forces de la coalition internationale et de toutes les forces étrangères en Irak en janvier 2020. Ils ont ensuite ignoré cette décision après avoir formé un gouvernement qu’ils contrôlent exclusivement. Ainsi, comme le décrit Soudani, nommé par ces mêmes forces, dans un entretien accordé au Wall Street Journal en janvier 2023, il s’agit de « forces amies », et l’Irak « a besoin de la présence des forces américaines pour une période indéfinie ».

La reprise des attaques contre les intérêts américains dans le cadre du conflit de Gaza, qui avaient été interrompues pendant la formation du gouvernement de Soudani, a révélé l’influence continue de l’Iran en tant qu’arbitre des relations entre l’Irak et les États-Unis. Cette situation a placé Soudani dans une position délicate, semblant incapable de contrer les décisions de l’Iran, malgré l’embarras potentiel.

Sur cette photo publiée par le bureau de la présidence iranienne, le Premier ministre irakien Mohammed Chia al-Soudani, à gauche, est accueilli par le président iranien Ebrahim Raïsi lors d'une cérémonie officielle de bienvenue au palais de Saadabad à Téhéran, Iran, lundi 6 novembre 2023.

Les indicateurs économiques

La politique financière

Le programme du gouvernement s’est engagé à restructurer le budget global et à superviser les finances publiques, dans le but d’alléger la pression des dépenses de consommation. Il cherchait à réorienter les ressources vers des projets et des programmes de développement durable tout en s’efforçant de réduire la dette publique. Cependant, les chiffres du budget fédéral pour 2023 présentés par le gouvernement de Soudani révèlent un échec total dans la mise en œuvre de ce plan de restructuration. Les dépenses opérationnelles ont dominé les dépenses publiques à 66,97 %, éclipsant les dépenses d’investissement, qui représentaient moins de 32,3 %. Il s’agit d’une amélioration marginale par rapport au budget fédéral de 2021, où les dépenses opérationnelles représentaient 69,6 % contre 30,4 % pour les investissements. La persistance d’un déficit budgétaire élevé, représentant 32,3 % du budget total, enfreint l’article 6/quatrième de la loi sur la gestion financière de 2019, qui stipule que le déficit budgétaire dans le budget de planification ne doit pas dépasser 3 % du PIB. Cette situation contraste fortement avec le budget 2021, dans lequel le déficit est resté inférieur à 22 %.

En ce qui concerne la gestion de la dette publique, le gouvernement n’a pas donné suite aux engagements qu’il avait pris dans le programme gouvernemental pour alléger la pression sur cette dernière. Il a continué à emprunter pour couvrir le déficit, en maintenant un rythme constant de prêts extérieurs sans modifier les politiques d’emprunt précédemment en place.

Réserve de trésorerie

Selon les derniers chiffres de la Banque centrale d’Irak, les réserves de la banque centrale ont atteint 109,153 milliards de dollars en mai 2023, avec une réserve d’or totale de 132,7 tonnes. Cependant, ces chiffres ne semblent pas rassurer le Fonds monétaire international (FMI). Dans un rapport publié à l’issue d’une réunion tenue entre le 12 et le 17 décembre 2023, le FMI a indiqué que la diminution des exportations de pétrole due aux décisions de l’OPEP+ de réduire la production de pétrole entraînerait « une réduction de la croissance du PIB en 2023 et 2024 ». Le rapport indique également que « le solde budgétaire devrait passer d’un excédent important en 2022 à un déficit en 2023, et les experts s’attendent à ce que le déficit se creuse encore en 2024, reflétant l’impact des mesures prises récemment tout au long de l’année. La forte expansion budgétaire, y compris une augmentation significative de l’emploi public et des prestations de retraite, crée des dépenses permanentes qui exerceront une pression sur les finances publiques à moyen terme ».

Taux de change

Les fortes fluctuations du taux de change résultent d’interventions directes du gouvernement, en contournant les lois établies. Selon la loi, la Banque centrale d’Irak est seule responsable de « la formulation et de l’exécution de la politique monétaire » et est indépendante de « toute directive émanant d’individus ou d’entités, y compris d’organes gouvernementaux ». Cependant, le taux de change a été initialement réduit en décembre 2020, passant du taux approuvé de 1 182 dinars irakiens pour un dollar à 1 450 dinars irakiens pour un dollar. Plus tard, en février 2023, le taux a été augmenté à 1 300 dinars irakiens par dollar. Il est à noter que ces deux ajustements ont été décidés par le gouvernement, et non par la Banque centrale d’Irak. Indépendamment des motifs sous-jacents de ces changements, cette intervention gouvernementale, qui va à l’encontre des lois établies, soulève des questions pertinentes sur l’État de droit en Irak et les pouvoirs et compétences délimités, ainsi que sur l’impact des interventions politiques et populistes sur la prise de décision monétaire, financière et économique.

Les restrictions imposées par la Banque fédérale américaine, liées à l’adoption du système SWIFT pour les transferts financiers transfrontaliers afin d’empêcher les opérations de contrebande et de blanchiment d’argent à grande échelle qui avaient lieu en Irak, ont ensuite ajouté un autre facteur aux fluctuations du taux de change. Le taux de change sur le marché parallèle est passé à 1500-1600 dinars irakiens pour un dollar.

L’inflation

Selon le dernier taux d’inflation publié par la Banque centrale, ce taux a atteint 3,7 % en août 2023, alors qu’il était enregistré à 4,4 % à la fin de 2022. Cette baisse du taux d’inflation reflète, selon la banque, la « nature de la stabilité des prix atteinte ». Ces chiffres contredisent les attentes de la Banque mondiale en mai 2023, qui prévoyait que le taux d’inflation atteindrait 5,6 % en moyenne au cours de l’année 2023.

Le chômage

La question du chômage reste une préoccupation urgente pour le gouvernement de Soudani, en particulier en raison de l’absence de solutions viables pour s’attaquer à ce problème - un catalyseur important pour le mouvement de protestation qui a éclaté en octobre 2019. Selon le ministère de la Planification (Organisation centrale des statistiques), le taux de chômage s’élevait à 11,5 % en 2016, pour atteindre 13,8 % en 2017 et se maintenir à ce niveau tout au long de 2018. 

Le plan de développement national (2018-2022) visait à réduire le chômage. Cependant, il est évident que le plan n’a pas atteint cet objectif. Selon les derniers chiffres officiels du ministère de la Planification issus de l’enquête sur la main-d’œuvre, le taux de chômage a grimpé à 16,5 % en 2021.

Malgré les mesures sans précédent prises par le gouvernement de Soudani, notamment le recrutement de 810 863 personnes dans le secteur public en vertu de la loi budgétaire fédérale de 2023, la main-d’œuvre du secteur public centralisé en Irak est passée à 4 074 697 personnes, soit une augmentation de 24,8 % par rapport aux 3 263 834 employés recensés en 2021. Actuellement, la main-d’œuvre du secteur public irakien constitue le pourcentage le plus élevé par rapport à la population au niveau mondial. Selon les estimations démographiques du ministère irakien de la Planification en juillet, avec une population de 43,324 millions d’habitants, la main-d’œuvre du secteur public représente 9,4 % de la population totale. 

Cette augmentation se comprend mieux dans le paysage politique que dans le contexte économique. L’Irak ne dispose pas d’une stratégie structurée ou de critères pour l’emploi dans le secteur public alignés sur les politiques publiques de l’État. Les nominations semblent fondées sur des décisions populistes ad hoc, qui constituent souvent une forme de favoritisme et encouragent l’allégeance aux partis et acteurs politiques. La récente vague de nominations semble avoir été conçue pour des raisons électorales, dans le but d’absorber l’un des principaux moteurs des protestations.

Si l’on inclut les retraités qui perçoivent des pensions, soit un total de 3 313 619 à la fin de 2022 selon le Département général des retraites, ces chiffres semblent à la fois illogiques et politiquement motivés, ce qui signifie que des centaines de milliers de personnes perçoivent des prestations de retraite non méritées. En outre, si l’on tient compte des personnes qui perçoivent des salaires au titre de la protection sociale du ministère du Travail et des Affaires sociales - plus de 2 151 551 familles (comprenant plus de 7 350 000 personnes), comme l’a révélé le Bureau des médias du Premier ministre en décembre 2023 - ces statistiques pèsent lourdement sur les dépenses de l’État, ce qui limite sa flexibilité budgétaire. 

En même temps, il est difficile de parler d’un secteur privé viable en Irak, capable de réduire le chômage de manière significative. Le secteur privé irakien reste lié à l’État, fonctionne dans le cadre d’un réseau de mécénat et n’a ni la volonté ni la capacité de fonctionner de manière autonome par rapport à l’influence de l’État.

Investissements étrangers

Le programme gouvernemental de Soudani comporte deux paragraphes relatifs à l’investissement. Le premier se concentre sur le développement de l’industrie pétrolière par le biais de partenariats avec des sociétés internationales spécialisées, d’opérations de raffinage, de l’amélioration des systèmes d’exportation via les débouchés maritimes et le port turc de Jihan, et de l’exploration de nouvelles voies d’exportation via les pays méditerranéens voisins. En outre, il préconise d’investir dans le raffinage, d’élaborer des stratégies d’utilisation des gaz associés, d’activer les gisements de gaz libres et d’encourager les investissements étrangers dans le secteur pétrochimique.

Le deuxième paragraphe concerne l’investissement en général en réformant et en simplifiant les procédures, en aidant les investisseurs sérieux à développer tous les secteurs couverts par la loi sur ce sujet, et en lançant un plan pour désigner les terrains et leurs utilisations sectorielles sous le contrôle des autorités chargées de l’investissement.

Le ministère de Soudani a en effet réussi à relancer de nombreux projets en suspens. En février 2023, les signatures finales ont été obtenues pour le cinquième cycle d’octroi de licences, initialement signé en avril 2018. Les contrats comprenaient six contrats d’exploration et de développement, trois avec Crescent Petroleum, deux avec Geo-Jade Petroleum et le dernier avec l’UEG. Ces contrats ont adopté la formule de partage des revenus au lieu des contrats de type service utilisés dans les cycles d’octroi de licences précédents.

En mai 2023, le ministre irakien du Pétrole a annoncé la signature d’un accord préliminaire avec Saudi Aramco pour investir et développer le champ gazier d’Akkas dans la province d’Anbar afin d’atteindre une capacité de production de 400 millions de pieds cubes standard par jour. L’Irak avait déjà signé un contrat initial avec la société coréenne Kogas lors du troisième cycle d’octroi de licences en juin 2011 pour exploiter ce champ. Début 2020, l’ancien ministre des Finances Ali Abdul Amir Alawi a annoncé l’annulation du contrat de la société coréenne, ce qui a conduit à des accords avec des sociétés saoudiennes pour l’investissement et le développement du champ d’Akkas.

L’accord comprend une contribution au projet Al-Nibras Petrochemical Industries à Basra-Khor Al-Zubair, qui produira 1 820 000 tonnes de divers produits pétrochimiques. Le coût de ce projet est estimé à 8,45 milliards de dollars, comme l’a déclaré le directeur du projet au journal irakien Al-Sabah le 13 mai 2023. Le projet avait été convenu avec Shell en janvier 2015 mais n’a pas été mis en œuvre.

En juillet 2023, les signatures finales ont été obtenues pour quatre contrats de partage des revenus avec TotalEnergies dans les domaines du gaz, du pétrole et des énergies renouvelables intégrées, d’une valeur maximale de 27 milliards de dollars. Ces contrats avaient été approuvés par le précédent cabinet dirigé par Mustafa Al-Kadhimi en 2021 et devaient être mis en œuvre au cours du premier trimestre 2022, selon une déclaration publiée par le ministère irakien du Pétrole à l’époque. Ces contrats concernent divers domaines, tels que l'utilisation de l'eau de mer pour le soutien des réservoirs, l'investissement dans le gaz associé avec une capacité de 600 millions de pieds cubes par jour, le développement du champ pétrolier d'Artawi dans le sud de l'Irak pour atteindre une production de 210 000 barils par jour, et enfin l'investissement dans l'énergie solaire, prévoyant une capacité de 1 000 mégawatts.

La société qatarie Power International Holding a annoncé des investissements en Irak qui pourraient atteindre 9,5 milliards de dollars. Le 15 juin 2023, l’agence de presse qatarie a rapporté que lors de sa visite à Bagdad, l’émir du Qatar, Sheikh Tamim bin Hamad Al Thani, a déclaré que le Qatar avait l’intention d’investir 5 milliards de dollars dans divers secteurs en Irak au cours des prochaines années. Les projets en cours de négociation comprennent la construction de villes modernes, de complexes résidentiels et la gestion d’hôpitaux et de services de santé.

En juin 2023, une autre société qatarie, Estithmar Holding QPSC, a publié un communiqué indiquant qu’elle avait signé trois protocoles d’accord avec la Commission nationale d’investissement irakienne, pour un montant total de 7 milliards de dollars. Le premier protocole concerne le développement de deux villes modernes couvrant divers secteurs tels que le commerce, le résidentiel et le divertissement. Le deuxième porte sur le développement d’hôtels et de centres de villégiature de luxe, tandis que le troisième protocole concerne Elegancia Healthcare WLL, une filiale de la holding d’investissement, qui gère et exploite plusieurs hôpitaux en Irak.

Le 18 juin 2023, UCC Holding a publié un communiqué annonçant un contrat pour la construction de deux centrales électriques d’une capacité totale de 2 400 mégawatts, d’une valeur de 2,5 milliards de dollars. En outre, un partenariat entre les secteurs public et privé, d’une durée de vingt-cinq ans, a été établi en rapport avec ces centrales électriques.

En août 2023, Soudani a posé la première pierre d’un complexe touristique dans la zone verte de Bagdad. En septembre 2023, un accord a été signé avec la Société financière internationale (SFI) pour développer et réhabiliter l’aéroport international de Bagdad. L’accord prévoit que la SFI fournisse des consultations pour le développement du secteur privé, qu’elle renforce sa collaboration avec le secteur public et qu’elle relève les défis futurs dans divers secteurs.

Selon un rapport de FDI Intelligence du 11 décembre 2023, Laila Abidin, chef du département Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA), une filiale de la Banque mondiale, a déclaré que les investisseurs dans les secteurs de l’énergie, de la finance et de l’industrie manufacturière s’intéressaient de plus en plus à l’Irak depuis 2010.

Cependant, malgré ces développements positifs, l’environnement d’investissement en Irak est confronté à de nombreux obstacles. Un rapport du Département d’État américain datant de 2023 souligne que les défis bureaucratiques, les obstacles juridiques et réglementaires et la corruption sont les principaux obstacles à l’investissement étranger. Des fonctionnaires privilégiant les relations commerciales avec des entreprises non occidentales, en particulier des entités iraniennes et chinoises, occupent toujours des postes de pouvoir au sein du gouvernement irakien.

Le rapport indique que l’environnement sécuritaire représenté par la menace des groupes extrémistes chiites qui sont soumis à un contrôle gouvernemental nominal et qui pratiquent une série d’activités criminelles et illégales, y compris l’extorsion dans les secteurs commerciaux, constitue toujours un obstacle majeur à l’investissement étranger. Elle indique également que si le gouvernement irakien a toujours affirmé sa volonté d’attirer les investissements étrangers, il n’a pas réformé les processus et les réglementations qui les entravent. Ces obstacles englobent toute une série de difficultés rencontrées par les investisseurs, notamment les litiges concernant les contrats et les délais de paiement des partenaires irakiens, qu’il s’agisse d’entités gouvernementales ou privées. En outre, des obstacles tels que l’enregistrement alambiqué des entreprises, les réglementations douanières, les obligations fiscales élevées et irrégulières, les procédures floues pour les visas et les permis de séjour, l’application irrégulière des réglementations, l’absence de mécanismes efficaces de résolution des litiges, l’approvisionnement inadéquat en électricité et l’accès limité au financement ne font qu’aggraver les difficultés. De plus, les changements fréquents des cadres réglementaires, souvent non appliqués et sujets à des modifications avec chaque nouveau gouvernement, imposent des charges supplémentaires aux investisseurs potentiels.

Les droits de l’homme

Le programme électoral contenait un volet consacré aux droits de l’homme et à l’émancipation des femmes. Il s’engageait à mettre en œuvre les dispositions relatives aux droits de l’homme et à promouvoir l’émancipation des femmes en rétablissant l’adhésion aux accords internationaux. Il visait à surveiller les violations des droits de l’homme dans les commissariats de police et les centres de détention, en formant une équipe juridique chargée d’examiner les comités d’enquête chargés de traiter les affaires impliquant des victimes civiles. Le programme s’est également engagé à demander des comptes aux responsables de ces crimes, afin d’éviter toute impunité. En outre, il a proposé de collaborer avec la Chambre des représentants afin de réviser et de promulguer une législation protégeant la liberté d’expression, de réunion et de manifestation pacifique.

Cependant, l’examen des résultats du gouvernement dans ces dossiers révèle non seulement un manque d’engagement par rapport à ce qui était énoncé dans le programme électoral, mais aussi une attaque sans précédent sur ces questions en particulier.

En ce qui concerne les droits de l’homme, le gouvernement n’a pas retiré la loi controversée sur la « liberté d’expression d’opinion, de réunion et de manifestation pacifique », après en avoir présenté la même version en 2010. La première lecture de la loi a été soumise à la Chambre des représentants le 3 décembre 2022, et la seconde a été soumise le 9 mai 2023 - ce qui signifie qu’elle est en cours de législation finale.

Cette loi a fait l’objet de critiques de la part de diverses parties prenantes en matière de droits de l’homme, notamment l’Unesco, la Mission des Nations Unies en Irak, Human Rights Watch, Amnesty International, l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme, ainsi que des organisations et des militants irakiens des droits de l’homme. Leurs préoccupations découlent de plusieurs lacunes, notamment la banalisation délibérée par la loi du droit d’accès à des informations cruciales. En particulier, la loi ne contient pas de dispositions obligeant les organismes officiels à divulguer proactivement des informations ou à les fournir sur demande. De plus, la loi désigne la Haute Commission des droits de l’homme (qui représente en fin de compte des intérêts partisans et est soumise au pouvoir exécutif selon l’arrêt de la Cour fédérale) comme l’unique autorité habilitée à décider de l’accessibilité de l’information. Elle accorde à la Commission un pouvoir discrétionnaire illimité, déclarant que si une demande est conforme à la loi, la Commission est simplement tenue de « présenter la demande de la partie concernée ». Toutefois, elle ne décrit pas les procédures à suivre si la partie concernée refuse la demande. Ainsi, l’interprétation de la « conformité avec la loi » devient subjective, reposant sur la discrétion de la partie officielle et de la Haute Commission des droits de l’homme. Par conséquent, cette loi ne dénature pas seulement l’essence du droit d’accès à l’information, qui sert de pierre angulaire à tous les droits et libertés, mais elle l’affaiblit complètement.

En 2023, une attaque sans précédent a été menée pour des motifs politiques contre le terme et le concept de genre, y compris sa traduction arabe en tant que « genre social ». Le gouvernement a joué un rôle important dans cette offensive. Elle a commencé par un tweet d’un membre du conseil politique de la milice Najba, un allié de l’Itar al-Tansiqi (Cadre de coordination), critiquant l’utilisation de ce qui a été qualifié de « concept hybride étrange » qui serait en contradiction avec les principes islamiques et les valeurs morales. Cette objection a été formulée lors de la conférence sur l’identité nationale organisée par le conseil culturel du cabinet irakien en avril 2023. Au départ, le tweet n’a reçu qu’une attention minime jusqu’à la mi-juillet, lorsqu’il a semblé évoluer vers une campagne organisée impliquant divers acteurs.

Le 13 juillet 2023, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (membre du bureau politique d’Asa’ib Ahl al-Haq) a publié une directive officielle à l’intention de toutes les universités, appelant à l’organisation de séminaires de sensibilisation, d’ateliers et de conférences pour renforcer les valeurs éthiques arabes en réponse à des défis imminents, notamment l’homosexualité qui menaçait prétendument les normes sociétales. Il a notamment insisté sur la nécessité de « préciser l’utilisation du terme “genre social”, afin de clarifier et d’assurer une compréhension précise dans le discours officiel ».

L’amalgame délibéré entre « homosexualité » et « genre social » a déclenché une campagne qui a fini par englober l’ensemble du récit. Le 15 juillet 2023, un député de la Coalition pour l’État de droit a adressé une lettre au Premier ministre, demandant « l’interdiction d’utiliser le terme de genre ». Cette demande se justifie par le fait que ce terme est censé promouvoir des idées et des pratiques jugées contraires aux principes humains, aux religions en général et aux valeurs propres à la société irakienne.

À la fin du mois, la croisade contre le concept de genre s’intensifie. Le 27 juillet 2023, le ministre de l’Enseignement supérieur, moins de deux semaines après ses directives antérieures, a demandé aux universités et collèges privés d’ « interdire l’utilisation du terme de genre social dans tous les contextes institutionnels ».

Simultanément, le Secrétariat général du Conseil des ministres est entré dans la danse en publiant un livre. Dans cette publication, il s’efforçait d’élucider le concept de genre social, en défendant son usage officiel tout en insistant sur son remplacement par les termes « homme et femme », qui sont « conformes à la Constitution et aux valeurs morales de notre société irakienne ».

La situation s’est encore aggravée en août 2023 lorsque l’Autorité des médias et des communications a pris une mesure décisive en publiant une directive interdisant l’utilisation des termes « genre social », « genre » et « homosexualité » dans toutes les communications adressées à l’Autorité. En outre, elle a demandé aux médias et aux entreprises publiques opérant en Irak de s’abstenir de promouvoir ces termes avec leurs connotations existantes, tant dans les médias traditionnels que sur les plateformes de médias sociaux.

En outre, le gouvernement est resté inactif en ce qui concerne l’examen des enquêtes sur les meurtres commis lors des manifestations d’octobre 2019, ne garantissant pas l’obligation de rendre des comptes pour les meurtres de civils et n’empêchant pas les exemptions de peine. Un comité d’enquête mis en place par le gouvernement a confirmé environ 541 décès parmi les manifestants civils, sans préciser le nombre de blessés. En revanche, la mission des Nations unies en Irak a documenté la mort de 487 manifestants et les blessures de 7 715 autres sur les sites de protestation. Malgré ces chiffres alarmants, aucune commission professionnelle indépendante n’a été convoquée pour enquêter de manière approfondie sur les événements. Au lieu de cela, seule une commission gouvernementale, influencée par la dynamique du pouvoir en place, a conclu en recommandant des sanctions disciplinaires ou administratives.

Dans le même contexte, en 2023, un incident a mis en évidence l’évitement systématique des sanctions par la complicité collective. Le 6 juillet 2020, le militant Hisham al-Hashimi a été assassiné et un suspect, un officier ayant le grade de premier lieutenant au ministère de l’Intérieur, a été appréhendé le 16 juillet 2021. Ses aveux télévisés font état de « trois autres personnes impliquées », qui n’ont toutefois pas été poursuivies dans le cadre de l’affaire. Pendant 22 mois, l’affaire a été reportée à plusieurs reprises, au motif qu’il était difficile de faire comparaître les accusés devant le tribunal. Finalement, le 7 mai 2023, la justice a condamné l’auteur du crime à la peine de mort. Cependant, le 10 août, la Cour de cassation a annulé la sentence, affirmant que le Comité Décret 29, qui a enquêté sur l’affaire, « n’avait aucune autorité légale pour enquêter sur le crime ». Cet argument laisse perplexe si l’on considère l’implication du pouvoir judiciaire dans le comité et plus particulièrement dans cette affaire. Il convient de noter que le pouvoir judiciaire avait précédemment rendu des décisions à l’encontre d’autres personnes ayant fait l’objet d’une enquête dans le cadre du décret du comité 29, et que ces décisions ont été confirmées par la Cour de cassation, ce qui a entraîné leur emprisonnement.

Dans un autre incident, le Premier ministre a publié une déclaration le 11 novembre 2022, invitant les victimes de torture à signaler leur cas, preuves à l’appui, à son conseiller pour les droits de l’homme. Cette annonce a incité un citoyen, qui avait subi de graves tortures ayant entraîné la perte de ses deux mains, à déposer une plainte.

Son calvaire a commencé lorsqu’il a empêché quelqu’un (qui a été identifié comme étant affilié aux services de renseignement du Hachd al-Chaabi) de voler un magasin. Cela a conduit à son arrestation six jours plus tard. Sa maison a été perquisitionnée et il a été emmené en prison par les services de renseignement de la police fédérale, où deux officiers, ainsi que le voleur présumé, l’ont torturé à tour de rôle pendant 21 jours pour l’obliger à avouer son affiliation à l’État islamique (ISIS). Alors qu’il avait initialement avoué sous la contrainte, il est revenu sur sa déclaration devant le tribunal, affirmant qu’elle lui avait été arrachée sous la torture. En réponse, les autorités l’ont soumis à 16 autres jours de torture pour l’empêcher de se rétracter à nouveau. À la suite de ces traitements brutaux, la gangrène s’est installée, ce qui a nécessité son transfert à l’hôpital pour l’amputer de la plupart de ses doigts et d’une partie de ses paumes. Pendant son hospitalisation, un enquêteur lui a rendu visite et lui a proposé de retirer sa plainte en échange de sa libération. Il a ensuite été condamné à une peine de six ans d’emprisonnement sans que l’incident de torture ne soit pris en compte. Cependant, la Cour de cassation a rejeté les accusations et l’a libéré. Il a ensuite été confronté à une accusation de terrorisme datant de 2016 et a été emprisonné pendant trois mois supplémentaires. Pendant son incarcération, son père a subi des pressions de la part des enquêteurs, avec l’aide des anciens de la région, pour qu’il organise une réconciliation tribale en échange de la sécurité de son fils. Finalement, il est libéré le 28 juin 2023.

Ce qui est étrange ici, c’est ce qui s’est passé après que cette personne a osé dénoncer les tortures qu’elle avait subies. La réponse du conseiller aux droits de l’homme du Premier ministre a pris une tournure étrange. Ils lui ont proposé un salaire au titre de la protection sociale comme un pot-de-vin pur et simple, ne laissant aucune place à l’interprétation. Lorsqu’il a déclaré que ce salaire ne suffirait pas, ils ont suggéré de l’enregistrer comme « victime du terrorisme ». En fin de compte, le conseiller a affirmé qu’il n’avait pas les mains libres car il avait renoncé à ses droits personnels et que les agents impliqués avaient subi des répercussions, tentant ainsi de masquer le crime. Cependant, Hassan a contesté cette affirmation, affirmant qu’aucun des agents n’avait été sanctionné. En fait, l’un d’entre eux a été promu, ce qui contredit la prétendue punition.

Le manquement systématique des autorités irakiennes à leurs obligations au titre de la « Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », à laquelle l’Irak est devenu partie en 2008, est tout à fait évident. Selon la convention, l’État est tenu de reconnaître « tous les actes de torture comme des crimes au regard de son droit pénal, y compris la tentative de torture ou la participation à la torture » (article 4/1). Elle garantit également que « toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture dans sa juridiction a le droit de porter plainte devant les autorités compétentes, qui doivent procéder à une enquête impartiale et rapide. Les mesures nécessaires doivent protéger le plaignant et les témoins contre toute forme de mauvais traitement ou d’intimidation en raison de leur plainte ou des preuves qu’ils ont fournies » (article 13). En outre, elle interdit expressément « l’utilisation de toute déclaration obtenue par la torture comme élément de preuve dans toute procédure, sauf à l’encontre de l’accusé tortionnaire, comme preuve que la déclaration a été faite sous la contrainte » (article 15).

Malheureusement, le code pénal irakien reste inchangé, offrant une protection explicite aux actes de torture, et n’a pas été révisé pour se conformer aux stipulations de cette convention. Les autorités de l’État persistent à dissimuler les crimes de torture et le pouvoir judiciaire considère toujours les aveux obtenus sous la contrainte, qu’il s’agisse de violence verbale ou physique, comme une « pratique normale ». Ce mépris pour les plaintes des personnes soumises à la torture est régulièrement mis en évidence dans les rapports de la mission des Nations unies en Irak.

Ces quatre incidents montrent que les promesses du programme gouvernemental de Soudani sont loin d’être tenues.

La corruption

Le programme électoral du gouvernement de Soudani mettait l’accent sur la priorité absolue de la lutte contre la corruption financière et administrative. Un segment consacré à la « lutte contre la corruption et à la prévention de la mauvaise affectation des fonds publics » présente les stratégies suivantes : soutenir et revitaliser les organes de contrôle pour surveiller les cas de corruption importants, procéder à des examens approfondis des contrats passés (en particulier les contrats de grande envergure), établir une stratégie solide pour récupérer les fonds déplacés de manière illicite, engager des actions en justice pour récupérer ces actifs dès la formation du gouvernement, et élever les mesures préventives dans le futur cadre de lutte contre la corruption.

Dans les différents gouvernements irakiens, la lutte contre la corruption a constamment été un engagement repris dans les programmes électoraux successifs. Malgré cela, ces promesses n’ont pas été concrètement mises en œuvre, ce qui a coïncidé avec une hausse de la corruption en Irak. Les programmes électoraux successifs, de 2006 à 2010, de 2010 à 2014 et de 2014 à 2018, ont tous mis l’accent sur les efforts anti-corruption, créant des organes tels que le « Conseil de coordination conjoint pour la lutte contre la corruption » en 2007 et le « Conseil suprême pour la lutte contre la corruption » en 2015. Une « stratégie nationale de lutte contre la corruption » a vu le jour en 2015-2016, marquant de nouveaux engagements. Malgré cette dynamique, le gouvernement de 2020-2022 a également été affecté par des problèmes de corruption, introduisant le « Comité supérieur de lutte contre la corruption » chargé d’enquêter sur les affaires majeures de corruption et de crimes. Cette récurrence souligne le problème persistant des promesses non tenues en matière de lutte contre la corruption, alors que celle-ci continue de sévir au sein de l’appareil d’État.

Malgré cela, l’Irak demeure toujours parmi les pays les plus corrompus. Dans l’Indice de Perception de la Corruption 2022 publié par Transparency International, l’Irak se maintient à la 157ème place sur 180 pays, une position qu’il conserve pour la deuxième année consécutive. Le paysage politique irakien incarne une forme de kleptocratie remarquable. Ce concept reflète la couche fondamentale de ce système, où la classe dirigeante exploite les institutions, les autorités et les ressources de l’État à des fins personnelles, économiques et politiques, accumulant ainsi d’immenses richesses et un pouvoir considérable. Cette structure ne se cantonne pas aux régimes autocratiques ou omnipotents, mais s’étend également aux démocraties à tendance oligarchique, caractérisées par un petit groupe de dirigeants influents.

Le clientélisme, quant à lui, représente l’aspect vertical du système politique irakien, caractérisé par une relation réciproque entre un protecteur et un protégé. Dans cette relation, le protecteur, doté d’une influence et de ressources sociales et économiques considérables, utilise son statut pour fournir une protection ou des avantages (parfois les deux) à un client de rang inférieur. En retour, ce dernier apporte son soutien et son assistance au mécène, souvent sous la forme de services personnels. Ce système complexe tisse étroitement les dynamiques de pouvoir et les échanges mutuels au sein du tissu politique irakien.

La représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies en Irak a accusé la classe politique irakienne d’être responsable de la corruption systémique. Dans sa présentation au Conseil de sécurité en octobre de l’année dernière, elle a affirmé : « La corruption systémique est l’une des causes principales du dysfonctionnement en Irak. Honnêtement, aucun dirigeant ne peut prétendre être exempté ». Elle a souligné que cette corruption est intrinsèquement liée à l’ensemble du système, « et non à un groupe spécifique d’individus ou à une série d’événements ».

L’ancien ministre des Finances Ali Abdul Amir Allawi a décrit l’État irakien comme un « État zombie » dans son discours de démission en 2022. Il a déclaré : « De vastes secteurs de l’État ont effectivement été pris en charge par les partis politiques et les groupes d’intérêt privés ». Des réseaux secrets de « hauts fonctionnaires, d’hommes d’affaires, de politiciens corrompus et d’employés de l’État » opèrent dans l’ombre pour contrôler des secteurs entiers de l’économie et retirer des milliards de dollars du trésor public. Ces réseaux sont protégés par les grands partis politiques, l’immunité parlementaire, les manipulations juridiques et même les forces étrangères. Ils maintiennent le silence des fonctionnaires responsables par la peur et les menaces. Cette corruption colossale et cette tromperie ont pénétré tous les secteurs de l’économie de l’État et de ses institutions.

La corruption en Irak ne se limite pas à des acteurs individuels (fonctionnaires ou personnes ayant autorité ou accès à l’autorité). Au contraire, elle est profondément ancrée dans le cadre structurel du système politique, s’imbriquant dans le tissu même de l’État. Cette corruption systémique n’implique pas seulement les acteurs ou les forces politiques, mais s’étend à toutes les autorités et institutions de l’État, y compris le système judiciaire et les institutions de lutte contre la corruption (la Commission d’intégrité et le Bureau de supervision financière). Il est remarquable de constater que les personnes occupant des postes clés au sein du pouvoir exécutif, les membres actifs du pouvoir judiciaire et les dirigeants des institutions de lutte contre la corruption, ainsi que leurs comités suprêmes, doivent leur position à des nominations émanant d’acteurs ou de partis politiques. Cette infiltration généralisée de l’appareil politique dans les rôles institutionnels clés souligne l’étendue de la corruption dans la structure de gouvernance de l’Irak.

La corruption en Irak ne se cantonne pas à des acteurs individuels tels que des fonctionnaires ou des individus en position d’autorité. Au contraire, elle est profondément enracinée dans le cadre structurel du système politique, s’imbriquant dans la trame même de l’État. Cette forme systémique de corruption n’implique pas seulement les acteurs ou les forces politiques, mais s’étend à toutes les autorités et institutions de l’État, y compris le système judiciaire et les organes de lutte contre la corruption tels que la Commission d’intégrité et le Bureau de supervision financière. Il est remarquable de constater que les personnes occupant des postes clés au sein du pouvoir exécutif, les membres actifs du pouvoir judiciaire et les responsables des institutions anti-corruption, ainsi que leurs comités de direction, doivent leur position à des nominations provenant d’acteurs ou de partis politiques. Cette infiltration généralisée de l’appareil politique dans des rôles institutionnels clés souligne l’étendue de la corruption dans la structure de gouvernance de l’Irak.

Étude de cas

Fin 2022, l’ampleur du vol de fonds provenant des dépôts fiscaux à la Rafidain Government Bank pour le compte de la General Tax Authority a été révélée, totalisant en moins d’un an plus de 3,7 billions de dinars irakiens (plus de 2,5 milliards de dollars américains). Cette situation, marquée par des déclarations contradictoires et une transparence obscure, a mis en lumière la corruption profondément enracinée qui règne dans la gouvernance de l’Irak, l’emportant même sur les meilleures intentions.

Ce qui a été nommé le « vol du siècle » n’a pas été découvert grâce à un travail diligent des organismes anti-corruption ou à des enquêtes officielles. Son dévoilement est survenu lors d’une querelle concernant les actions découlant de ce vol. La révélation a émergé lorsque le Parlement irakien a décidé de destituer le ministre des Finances en exercice. Cependant, il est apparu par la suite que ce renvoi était directement lié à une lettre envoyée la veille par le ministère des Finances à la Commission financière du Parlement. Cette correspondance a mis en lumière qu’une somme stupéfiante de 3,7 trillions de dinars irakiens avait été « saisie » par cinq sociétés, contournant ainsi les bénéficiaires légitimes ayant le droit de récupérer ces dépôts fiscaux.

Des documents et des informations relatent les faits suivants :

-Le 26 février 2017, le Premier ministre de l’époque, Haider al-Abadi, a pris une décision chargeant le Bureau de supervision financière d’auditer toutes les transactions liées au remboursement des dépôts douaniers et fiscaux avant leur versement.

-Le 13 juillet 2021, le président du Comité financier du Parlement irakien a envoyé une lettre au ministère des Finances proposant que l’Autorité générale des impôts soit seule à effectuer l’audit des opérations de remboursement, à l’exclusion du Bureau de supervision financière.

-Le 27 juillet 2021, le Bureau de supervision financière a envoyé une lettre au bureau du Premier ministre pour lui demander s’il devait poursuivre le processus d’audit ou adopter la proposition du chef de la commission parlementaire, en soulignant que le Bureau la « soutenait ».

-Le 28 juillet 2021, deux sociétés ont été créées au nom d’un individu, qui est également propriétaire d’une troisième société enregistrée le 6 juillet 2021. Il est clair que ces sociétés ont été créées dans l’intention de commettre le vol. Cette personne a partagé les fonds volés avec une autre personne, propriétaire de deux autres sociétés qui sont confirmées comme n’étant que des façades pour les véritables auteurs du vol.

-Le 1er août 2021, le bureau du Premier ministre a publié une lettre injustifiée soutenant la proposition du chef de la commission financière parlementaire de décharger le Bureau de surveillance financière de la tâche d’audit.

-Le 3 août 2021, le président de la Commission financière a envoyé une autre lettre au ministère des Finances pour demander que le Bureau de surveillance financière soit retiré du processus d’audit.

-Le 4 août 2021, il a été décidé de nommer un nouveau directeur général pour l’Autorité fiscale générale. On sait qu’un tel poste doit être nommé par un acteur politique.

-Le 10 août 2021, l’Autorité fiscale générale a envoyé une lettre au ministère des finances, confirmant qu’elle procéderait à un audit indépendant des transactions liées au remboursement des dépôts fiscaux, sans l’intervention du Bureau de supervision financière.

-Le 26 août 2021, le ministre des Finances a envoyé une lettre à l’administration fiscale générale, lui demandant de mener à bien le processus d’audit de manière indépendante.

-Le 31 août 2021, la Commission d’intégrité a adressé une lettre à l’Autorité fiscale générale, exprimant ses inquiétudes concernant le décaissement d’une obligation liée aux dépôts fiscaux. Cependant, au lieu de suspendre le décaissement ou d’ouvrir une enquête, la Commission d’intégrité a explicitement indiqué qu’elle ne demandait pas la suspension du décaissement. Cette décision reposait sur l’affirmation de l’Autorité fiscale générale selon laquelle aucun préjudice n’avait été porté aux fonds publics.

-Le 9 septembre 2021, la première partie de ce vol massif a commencé. En l’espace d’environ 11 mois, 247 versements ont été effectués, totalisant 3 700 milliards de dinars irakiens, le dernier étant le 11 août 2022.

-En mars 2022, le directeur général de l’Autorité fiscale générale a de nouveau changé, ce qui indique que le vol s’est produit sous la direction de deux directeurs, et non d’un seul. On ne sait pas si le remplaçant est issu du même acteur politique qui a nommé le premier ou d’un autre.

-Le 10 avril 2022, l’ancien chef de la Commission financière parlementaire, qui a proposé de retirer le Bureau de supervision financière du processus d’audit et qui est spécialisé dans l’ingénierie mécanique, est nommé conseiller financier et économique du Premier ministre.

-Le 16 août 2022, le ministre des Finances Ali Abdul Amir Allawi a présenté sa démission. Dans son texte de démission, il mentionne : « De vastes réseaux de hauts fonctionnaires, d’hommes d’affaires, de politiciens corrompus et d’employés de l’État opèrent dans l’ombre pour contrôler des secteurs entiers de l’économie et retirer des milliards de dollars du trésor public ».

-Le 21 août 2022, une lettre de la cour d’appel judiciaire de Bagdad et de Karkh a été adressée au ministère des Finances, faisant état de « cas de corruption dans le processus de versement des dépôts douaniers et fiscaux ». Elle a sollicité l’interruption des paiements. Néanmoins, aucune action n’a été entreprise par le tribunal pour enquêter sur cet événement, indiquée par l’absence de mandats d’arrêt et la convocation de tous les suspects après la divulgation du scandale.

-Le 11 octobre 2022, une lettre du Premier ministre irakien à la Commission fédérale de l’intégrité lui a demandé « d’enquêter sur les informations et les déclarations indiquant des violations dans le processus de décaissement des dépôts fiscaux et douaniers ».

-Le 12 octobre 2022, le ministre des Finances par intérim a adressé une requête au Premier ministre, demandant à être relevé de ses fonctions. Dans sa demande, il a explicitement souligné que « le vol était manifestement avéré ». Il a argumenté que la décision du Parlement de mettre fin à son mandat sert les intérêts de « ceux impliqués dans la saisie des fonds et l’émission des obligations de décaissement ». De plus, il a mentionné avoir été conseillé par plusieurs « dirigeants de pays » de quitter le ministère en raison des révélations qu’ils avaient découvertes. Il a également noté « la convergence d’efforts et de plans multiples visant à accélérer ma suspension de fonctions au ministère des Finances dans les plus brefs délais ».

-Le 18 octobre 2022, le Premier ministre a fait une déclaration troublante en affirmant que l’affaire du vol « ne concerne pas le gouvernement, mais un groupe spécifique au sein du ministère des Finances ». Il a soutenu que le pouvoir judiciaire menait discrètement des enquêtes depuis des mois, mais que certains individus, anticipant une possible responsabilité, tentaient de créer des troubles et de dissimuler les véritables acteurs de la corruption.

-Le 19 octobre 2022, le ministre des Finances démissionnaire, Ali Abdul Amir Allawi, a publié une déclaration expliquant qu’il avait émis un ordre ministériel le 1er novembre 2021, demandant à l’autorité fiscale générale de suspendre le versement des demandes de restitution de dépôts sans l’approbation du ministre. Cependant, l’administration fiscale n’a pas respecté cette interdiction et a travaillé avec la Rafidain Bank pour débloquer les montants « sans que le ministère des Finances n’intervienne dans ces pratiques préjudiciables ».

-Le 19 octobre 2022, la Banque centrale d’Irak a envoyé une lettre à toutes les banques, demandant les comptes bancaires des cinq sociétés qui ont saisi ces fonds et des personnes qui ont géré le décaissement des obligations. Cette demande est intervenue plus de deux mois après les prétendues enquêtes du pouvoir judiciaire.

-Le 24 octobre 2022, le ministère irakien de l’Intérieur a publié un communiqué annonçant l’arrestation du principal suspect dans le vol des dépôts fiscaux, « l’extrayant de l’avion à l’aéroport international de Bagdad alors qu’il tentait de quitter le pays ».

-Le 27 novembre 2022, lors d’une conférence de presse, le Premier ministre Mohammed Chia Al-Soudani a déclaré que près de 125 millions de dollars avaient été récupérés sur les fonds volés, représentant environ 5% du montant total. De plus, il a mentionné qu’un juge compétent avait émis une ordonnance de libération sous caution pour le principal accusé, à condition qu’il restitue le montant volé dans un délai de deux semaines. Un accord a été négocié entre le tribunal et l’accusé pour planifier la récupération de la totalité des fonds qu’il possédait.

-Le 28 novembre 2022, le juge chargé de l’affaire de détournement de dépôts fiscaux a précisé que l’accusé principal avait restitué environ 94,6 millions de dollars (moins de 4 % du montant volé).

-Le 16 janvier 2023, la cour d’appel de Karkh a émis un document levant la saisie sur l’une des sociétés appartenant à l’accusé principal.

-Le 18 janvier 2023, la cour d’appel de Karkh a délivré un document levant la saisie de plus de 46 propriétés appartenant à l’accusé principal et à son épouse.

-Le 26 janvier 2023, le juge chargé de l’affaire du vol du fonds de dépôt fiscal a révélé que l’accusé principal avait restitué 400 milliards de dinars irakiens sur 1 600 milliards de dinars, soit 25 % des fonds prétendument volés. Cette information est en contradiction avec la déclaration antérieure du tribunal, qui avait indiqué que moins de 9 % de l’argent avait été récupéré. Le reste des fonds sera réglé selon un plan programmé. En outre, « la saisie a été levée sur le bien ou l’entreprise pour lequel le montant total a été remboursé au Trésor public ». Le juge a également confirmé que « la levée de l’interdiction de voyager pour l’accusé n’est pas justifiée ».

-Le 30 avril 2023, un membre du Comité financier du Parlement irakien a annoncé que l’interdiction de voyager imposée au principal accusé dans l’affaire du vol de dépôts fiscaux avait été levée et qu’il avait quitté l’Irak pour Dubaï.

-Le 1er mai 2023, j’ai personnellement vu le principal accusé dans le hall de l’hôtel St. Regis dans la capitale jordanienne, Amman.

-Par la suite, les nouvelles concernant le principal accusé ont complètement disparu et il n’y a eu aucune déclaration officielle sur l’évolution de l’affaire.

-Tous les faits présentés confirment que la corruption en Irak n’est pas simplement une corruption individuelle, mais plutôt une corruption systémique. Toutes les autorités et institutions de l’État, du Parlement au Cabinet, en passant par l’Autorité fiscale générale, la Commission de l’intégrité, le Bureau de contrôle financier, la Banque centrale d’Irak, le Registre des sociétés et le pouvoir judiciaire lui-même, sont complices de cette corruption. Cette complicité a permis le détournement de 2,5 milliards de dollars, sans qu’aucune entité ne tente de l’empêcher ou de l’arrêter. Plus important encore, les cerveaux et les auteurs de ce vol majeur sont toujours en liberté et à leur poste.

-Lors d’une conférence de presse le 27 novembre 2022, entouré de piles de dollars et de dinars irakiens (qui représentent moins de 5% du montant total volé), Soudani a parlé d’un « règlement » qui comprenait la libération du principal suspect du vol « en échange de son engagement à restituer le montant volé dans un délai de deux semaines ». Aujourd’hui, plus d’un an après cette déclaration, l’État n’a récupéré que moins de 9 % du montant volé et personne n’a été poursuivi.

Conclusion

Le gouvernement de Soudani ne dispose plus que d’un an, sauf s’il est confronté à des événements imprévus. La dernière année de son mandat sera celle des élections parlementaires, ce qui fait que ses alliés au sein de l’Itar al-Tansiqi se concentreront davantage sur leurs programmes électoraux que sur le soutien au gouvernement. Cela devient particulièrement important si Soudani envisage de les défier lors des élections en créant une alliance politique concurrente. Une telle initiative pourrait restreindre considérablement sa marge de manœuvre, étant donné l’alignement étroit du cabinet gouvernemental sur ces partis. Il est largement admis que Soudani n’a qu’une influence limitée au sein du cabinet gouvernemental, au-delà de sa propre voix.

Les désaccords de Soudani avec les Kurdes et certaines factions sunnites, notamment l’ancien président du Parlement, s’ajoutent aux obstacles limitant son efficacité. Ces tensions, combinées à ses difficultés à concrétiser les initiatives convenues dans le cadre du programme gouvernemental, entravent considérablement sa capacité à réaliser ses projets ambitieux.

Avec tous ces éléments en jeu, il lui sera ardu de mettre en place son programme gouvernemental, entaché par un discours rhétorique mal conçu que l’on retrouve dans tous les programmes précédents.

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Pour citer cet article : Yahya al-Kubaisi, « Rapport d’évaluation pour la première année du mandat du gouvernement irakien », Centre Français de recherche sur l'Irak (CFRI), 27/12/23, [https://cfri-irak.com/article/rapport-devaluation-pour-la-premiere-annee-du-mandat-du-gouvernement-irakien-2024-01-03].

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