Institutions et personnalités musulmanes françaises à l’épreuve des attentats du Hamas en Israël le 7 octobre 2023
Les attaques contre des civils, des forces de police et militaires israéliens, perpétrées le 7 octobre 2023 sur le sol même de l’État hébreu par la branche armée du Hamas, dite « les phalanges (katâ’ib) ‘Iz al-dîn al-Qassâm1 », ont surpris à la fois par leur soudaineté, leur ampleur et leur cruauté, si l’on en croit les images horrifiques diffusées depuis lors sur les réseaux sociaux. En France comme ailleurs, les images qui nous viennent de cette partie du monde qui n’a jamais cessé d’être incandescente depuis 1948, ne laissent personne indifférent. Il y a deux écueils qu’il faut toutefois absolument éviter : d’un côté, le présentisme, soit cette « tyrannie du présent », cette « omniprésence du présent », comme le souligne à juste titre dans ses travaux d’historien, François Hartog, et de l’autre la confusion des registres moral, politique et analytique ; cette confusion est éminemment préjudiciable : elle impose nolens volens un cadrage politique étroit, pour ne pas dire idéologique, aux chercheurs, les sommant de condamner, ou de qualifier de terroriste, sans coup férir, le mouvement Hamas, car l’émotion se substitue, pour des raisons objectives que l’on peut entendre, à l’analyse froide, circonstanciée et distanciée. De ce point de vue, nuancer et expliquer s’apparentent très vite aux yeux de certains, y compris des plus hautes autorités étatiques, à un blanc-seing donné à l’organisation et aux actes commis par ses membres et sympathisants. Tout mouvement social, radical ou non, est cependant le produit d’une histoire, d’une trajectoire diversifiée, d’un contexte et d’une idéologie peu ou prou structurée et structurante. Le Hamas n’y fait donc pas exception et doit par conséquent être analysé rationnellement2.
Ainsi, j’organiserai ma réflexion en trois temps, elle-même inscrite dans une perspective qu’on pourrait qualifier de wébérienne, en d’autres termes qui prend en compte et au sérieux la parole et la déclaration des acteurs, replacées dans leurs contextes respectifs, dans leurs espace et temporalité : primo, quelles furent les motivations principales des acteurs engagés dans la perpétration de ces actes terroristes ou de « violence totale », catégories (terrorisme et violence totale) discutées et analysées avec force détails dans un autre cadre par la sociologue Isabelle Sommier 3 ? Secundo, quelle est la situation sociale et politique spécifique de la France au regard de ces faits extrêmes qui irriguent et rythment bon gré mal gré une partie importante des débats publics français depuis quelques jours ? Tertio, quelles sont et ont été les réactions des musulmans, et de quels musulmans, le cas échéant, s’agit-il plus exactement ?
Des motivations des activistes des phalanges palestiniennes aux attaques du 7 octobre
Le chef des Brigades ‘Iz al-dîn al-Qassâm, Muhammad Dhaif, a justifié, dans un document sonore diffusé par la chaîne Al Jazeera, l’opération baptisée « Déluge d’al-Aqça » (Tufân al-Aqcâ) et l’envoi de milliers de missiles, par « les massacres israéliens continus contre le droit du peuple de Palestine et la violation des traités internationaux que constitue la colonisation, avec le soutien américain et occidental, dans le silence de la communauté internationale 4». Cette opération trouverait donc sa rationalité dans « les crimes coloniaux » de la puissance occupante, qui ne seraient pas cantonnés au seul présent et à la seule bande de Gaza. Il y exhorte en outre tous les Palestiniens à prendre les armes contre l’État d’Israël, en appelant par ailleurs « les frères de la résistance, au Liban, en Iran, au Yémen, en Irak et en Syrie, à rejoindre la résistance palestinienne 5 », indépendamment de la nature de la confession, de la langue et de l’identité. Dhaif insiste également sur « la colère de [notre] communauté », de [nos] vertueux combattants », enjoignant encore aux Palestiniens au premier chef d’entamer « la marche vers La Palestine », de ne pas laisser « les frontières, les réglementations ou les restrictions » les « priver de l’honneur du jihâd et de [votre] participation à la libération de la mosquée al-Aqsâ 6 » ; il milite pour « un État arabo-islamique », sur la base « de la coalescence de la résistance arabe ». Ce ne sont donc pas des considérations proprement religieuses qui semblent venir au premier plan, même s’il est effectivement fait furtivement mention de jihâd, ni même le rapprochement diplomatique de quelques pays arabes du Golfe, à l’instar de l’Arabie saoudite, d’Israël.
Des faits objectifs
Sans amoindrir le niveau de violences des assauts du 7 octobre et exonérer ce disant la responsabilité des initiateurs et exécutants, il est néanmoins indispensable pour en expliquer la genèse, le soubassement et l’acuité, de souligner que le gouvernement d’extrême droite nationaliste et religieux-messianique dirigé par Benyamin Netanyahou, radicalement hostile à une solution à deux États et à une interruption sans préalable des colonisations proscrites par le droit international, porte une lourde responsabilité, pas seulement du point de vue des défaillances sécuritaires, réelles, à protéger ses concitoyens. En effet, ce dernier a laissé prospérer la rhétorique raciste de même que les manifestations de colons juifs dans l’enceinte de la mosquée al-Aqça, notamment à la veille de Yom Kippour. En septembre dernier, ce sont des centaines de juifs radicaux, protégés par la police israélienne, qui prirent d’assaut l’enceinte dans la partie occupée de Jérusalem-Est 7. Aussi, c’est probablement dans ce type d’événement que la dénomination « Déluge d’al-Aqça » a puisé l’une des inspirations motrices. Près de 400 extrémistes juifs se sont ainsi finalement retrouvés sur les lieux, avec à leur tête un ancien membre de la Knesset, en la personne du rabbin Yéhuda Glick, membre de la Fondation du mont du Temple, association d’extrême droite et militant ultra nationaliste qui s’est fait une place au sein du Likoud, en étant élu sous ses couleurs, pour être le député entre 2016 et 2019. Comme l’a écrit récemment le politiste Olivier Roy, l’État israélien entretient une espèce d’extrémisme politico-religieux en pensée et en acte, puisque « la coalition gouvernementale met en avant le judaïsme comme religion d’État », et, pourrait-on ajouter pour notre part, identité ethno-religieuse d’État. Cette coalition « ne se préoccupe plus de chercher des alliés dans les autres religions et s’attaque directement ou indirectement à la présence chrétienne en Israël, au risque de mécontenter ses alliés évangéliques américains »8. Le suprémacisme est un maximalisme, lequel refuse par définition toute expression d’altérité, et est surtout un poison mortel pour les démocraties, coloniales ou non.
On ne peut donc pas faire comme si ce contexte général n’existait pas au Proche-Orient. Et ce contexte général, précisément, n’est évidemment pas absent des sentiments pro-israéliens ou propalestiniens qui s’expriment en France, sans qu’il soit besoin d’ailleurs de dresser une ligne de partage radicalement hermétique entre les deux. Être propalestinien ne veut pas dire être hostile à l’existence de l’État d’Israël, aux côtés d’un État palestinien souhaité, sûr et viable, conforme aux préconisations des Nations unies, ou insensible aux victimes israéliennes du 7 octobre. De la même manière qu’être pro-israélien, au sens de soutien à l’existence d’Israël, ne signifie pas systématiquement être favorable à la colonisation, voire à l’écrasement des Palestiniens, et s’opposer, à cet égard, au droit international et à son application.
Or, dans l’Hexagone, la confusion ne cesse de dominer les échanges publics, à quelques rares exceptions près, et l’idéologie, dans certains secteurs politiques et médiatiques, remplace l’argumentation rationnelle et nuancée. En effet, parmi ceux qui ont accès à la parole publique pour s’exprimer au sujet des événements du Proche-Orient, c’est-à-dire à propos du 7 octobre et de ses suites, il n’est pas rare de constater quelques-uns d’entre eux pointer du doigt les propalestiniens en général et les musulmans en particulier, implicitement ou explicitement, comme si ces derniers étaient en quelque façon complices de la terreur et de l’horreur, et les vecteurs, ou conducteurs, négatifs de « l’importation du conflit » dans le pays, avec des suspicions récurrentes d’antisémitisme. Benyamin Netanyahu, dans une communication à usage externe, a par exemple comparé le Hamas à l’organisation Etat islamique (Daech), alors même que l’histoire et les stratégies des deux groupes diffèrent, même s’il est vrai que les méthodes récentes utilisées par le groupe islamiste palestinien armé sont comparables à celles du second. Le polémiste et homme politique Eric Zemmour lui a emboîté le pas en établissant un signe égal entre les événements sanglants du 7 octobre et les assassinats islamistes radicaux et les Frères musulmans français réels ou supposés, en déclarant que « le combat d’Israël est celui de notre civilisation » 9.
C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, dans un télégramme adressé aux préfets le jeudi 12 octobre, leur a demandé d’interdire « les manifestations propalestiniennes, parce qu’elles sont susceptibles de générer des troubles à l’ordre public […] »10. Une sorte de doute exacerbé s'instille chez des décideurs et leaders d'opinion car, consciemment ou non, manifester en soutien à la Palestine s'apparente de leur point de vue à de la sympathie envers le Hamas, ses projets et sa terreur, avec des risques corollaires d'antisémitisme. Ce qui n'est pas complètement exclu, mais loin d'être une attitude majoritaire.
Or c’est méconnaître à la fois la sociologie de la mondialisation, des réseaux sociaux au sein desquels se côtoient sans discontinuer, pour le meilleur et le pire, des paroles des plus bellicistes aux plus pacifistes, toutes personnes confondues. Comme l’a souligné pour Libération le journaliste Thomas Legrand, « une manifestation propalestinienne, ça peut vouloir dire démonstration de force de groupes islamistes pro-Hamas, comme manifestation pacifique de citoyens révulsés par une campagne de vengeance par tapis de bombes. Ça peut aussi vouloir dire manifester pour une solution prévoyant deux États sûrs. C’est la position officielle de la France, rappelée par Emmanuel Macron, mais considérée aujourd’hui en Israël ou par les militants sionistes radicaux en France, comme une position pro palestinienne coupable. »11 Cet article était en réaction à la position de la socialiste, présidente de la région Occitanie, Carole Delga, favorable au même titre que le ministre de l’Intérieur à une interdiction de principe de toute manifestation propalestinienne, courant le risque à ce titre de casser tout espace légitime de contestation et d’entretenir toutes sortes de théories du complot.
Du mauvais diagnostic (idéologique) au sujet de la (non) réaction des musulmans de France
Abdennour Bidar, philosophe et Inspecteur général de l’Éducation nationale, a signé une tribune pour Le Monde vendredi 13 octobre 2023 intitulée : « Vite, une parole claire et forte des représentants de la communauté musulmane de France ! ». Il y écrit ceci :
« Je suis également très alarmé de constater que, du côté musulman, se fasse attendre à ce point une prise de parole à la hauteur de la gravité des faits. Je ne voudrais pas que dure trop longtemps ce silence aussi assourdissant, ou bien que nous n’entendions que des prises de parole désespérément incapables d’échapper à l’ambiguïté ou à la demi-mesure. J’appelle donc les autorités musulmanes de France à réagir enfin. »
Puis, sans le vouloir ou en mesurer la portée possiblement accusatoire, suspicieuse à l’endroit de musulmans nominatifs déjà malmenés depuis 2015 12, il ajoute :
« Je m’insurge, aussi, contre ceux qui, en France et de par le monde, voudraient faire de cette barbarie une cause religieuse, en l’occurrence la cause de l’islam. Non ! Non, l’islam ne saurait être légitimement invoqué ici, et personne n’a le droit de se réclamer de l’islam pour commettre ou prétendre fonder en raison l’irrationalité de tels actes. Aucune sacralité n’exonère leurs auteurs du sacrilège qui est le leur, à l’encontre de la personne humaine, de l’humanité, et d’une religion – l’islam – qu’ils prétendent servir alors qu’ils l’assassinent ».
Qui, en France, puisque c’est le cœur du sujet soulevé par le penseur, parmi des leaders musulmans reconnus, d’associations musulmanes installées dans le paysage islamique français, a légitimé ou cautionné « cette barbarie », en se réclamant de l’islam « pour fonder en raison l’irrationalité de tels actes » ? À notre connaissance, aucun de ceux que nous évoquerons par la suite.
Différemment, et sur un ton nettement plus polémique et accusateur, l’essayiste Florence Bergeaud-Blackler a déclaré dans les colonnes du Figaro en date du 17 octobre 2023 que « ni la Fondation pour l’islam de France, présidée par Ghaleb Bencheikh, ni le Conseil français du culte musulman (CFCM), ni la Grande mosquée de Paris n’ont condamné les méthodes terroristes du Hamas », affirmant, sans la moindre preuve, qu’ « il n’y a aucun débat contradictoire sur le situation palestinienne à l’intérieur de la communauté musulmane, [que] c’est un tabou absolu, que l’imam Chalghoumi brise au péril de sa vie ». Cette vision des choses travestit la réalité et est animée par un trope complotiste : quand les acteurs musulmans ne s’expriment pas publiquement, ils cautionnent le mal, quand ils s’expriment, ils sont dans la dissimulation ou, carrément, mentent éhontément.
Il s’agit d’énoncés, d’accusations ou de mises en cause factuellement infondés, et éthiquement douteux, pour deux raisons : d’une part, il n’existe pas à proprement parler de vox populi musulmane ou d’opinion publique musulmane, uniforme, homogène, qui serait de surcroît enfermée dans un ou plusieurs organes de représentation réelle ou présumée qui parleraient au nom de tous les musulmans ; le procès qui est ainsi intenté procède d’une présomption de culpabilité qui ne dit pas son nom, comme si l’avenir de l’islam de France était déterminé et informé de l’extérieur, par les opérations armées et militaires, voire terroristes, du mouvement islamo-nationaliste palestinien, et que les citoyens musulmans n’étaient que fondamentalement musulmans ; et d’autre part, c’est, on l’a souligné en amont, factuellement faux.
CFCM, Grande mosquée de Paris et Musulmans de France, Ghaleb Bencheikh, Tareq Oubrou et bien d’autres encore, unanimes dans la condamnation des massacres du 7 octobre
Le 10 octobre, le CFCM, par la voix de son président, Mohammed Moussaoui, a produit un communiqué qui dit entre autres ceci :
« Des atrocités humaines ont été commises contre des civils israéliens innocents, dont de nombreuses femmes et enfants. Le CFCM condamne avec force ces actes que rien ne saurait justifier et s’associe à la douleur de ceux qui ont perdu un proche, et à l’angoisse pour les familles dont certains membres ont été enlevés. Les images effroyables de massacres commis envers des civils désarmés sont une atteinte insupportable à la dignité et à la vie humaine. »
Le 12 octobre, le CFCM publia un nouveau communiqué, où il y est énoncé ceci :
« À la veille de la grande prière de vendredi et dans un contexte international et national extrêmement sensible suite aux terribles drames que traverse le Proche-Orient, le CFCM appelle les responsables des mosquées et les imams à redoubler de vigilance […] Tout développement autour de conflit israélo-palestinien et toute tentative de mettre en exergue les responsabilités des uns et des autres, outre qu’ils n’ont pas leur place dans un moment solennel de prière, risquent d’être source d’incompréhension et de polémiques. Les imams et les fidèles sont appelés à prier pour toutes les victimes d’où qu’elles soient, d’élever des prières pour qu’Israéliens et Palestiniens puissent vite retrouver les voies de la Paix et de la Sécurité et construire ensemble, dans le dialogue, un avenir meilleur pour les générations futures. Prions également pour que notre pays demeure uni, solidaire et paisible. »
La Grande mosquée de Paris a également diffusé un communiqué, signé de la main du Recteur Chems-Eddine Hafiz, le 8 octobre :
« La Grande mosquée de Paris exprime sa vive préoccupation face à la détérioration de la situation au Proche-Orient, marquée par des violences extrêmes depuis le samedi 7 octobre 2023. En ces heures sombres, nos pensées les plus sincères et notre solidarité vont aux victimes innocentes et à leurs familles. La Grande mosquée de Paris appelle, ainsi, à la fin de ces violences intolérables et nous prions tout particulièrement pour que la vie des civils innocents soit préservée. Nous réaffirmons que la dimension religieuse n’a pas sa place dans le langage des armes […]. »
Vendredi 13 octobre, l’imam de la Grande mosquée de Paris, à l’occasion du prêche hebdomadaire, a rappelé la « vision humaniste » de l’islam, à veiller à « ne pas importer le conflit en cours au Moyen-Orient », à rejeter « la haine [qui] engendre la haine, et la violence [qui] engendre la violence », appelant à ce que les prisonniers soient « traités de manière humaine, en préservant leur dignité »13.
Ghaleb Bencheikh, lui, a déclaré à la fois en réaction à l’attaque du Hamas et à l’assassinat de l’enseignant Dominique Bernard à Arras, le 13 octobre, que « depuis le 7 octobre, nous sommes plongés dans l’horreur […] Je le dis clairement, aucune cause, si juste soit-elle n’implique le massacre d’innocents ; aucune révolte si légitime soit-elle n’autorise la terreur et la violence aveugle. Lorsqu’on se prévaut d’un idéal éthique et spirituel, on ne le trahit pas en perpétrant des crimes atroces » 14.
Tareq Oubrou, imam de Bordeaux, a réagi publiquement le 13 octobre dans des termes voisins du précédent, en ce que pour lui « rien ne justifie, même si la cause est juste et noble, rien ne justifie le massacre des innocents. L’islam ne peut pas accepter le massacre des enfants ou des vieillards » :
« Ce qui s’est passé le 7 octobre est un acte qui a choqué tout le monde et qui a surpris tout le monde, y compris beaucoup de musulmans […] Non seulement c’est contraire au droit international, mais c’est contraire au droit canonique musulman. Le prophète a interdit le massacre des enfants, des femmes, des vieillards. Il y a un droit de la guerre, même en Islam. Hamas, à cet égard-là, est en porte-à-faux par rapport aux valeurs qu’elle prend, c’est-à-dire l’islam. Il faut effacer islamique de leur intitulé. » 15
Le souci de l’imam-théologien, comme de l’ensemble des principaux acteurs de l’islam de France qui prennent la parole sur le sujet, est de désislamiser la violence et de, au contraire, spiritualiser, avec une dimension politique et religieuse inclusive, les appels à la paix, à préserver la vie des civils et au respect intégral du droit international.
L’organisation Musulmans de France (MF), si souvent accusée de collusion, au moins avec les Frères musulmans, au pire avec le djihadisme, est aussi montée au créneau, et ce, en trois temps et de trois manières complémentaires : d’une part, en diffusant un premier communiqué le 9 octobre dans lequel elle se dit « très préoccupée par la situation au Proche-Orient où les pertes civiles israéliennes et palestiniennes sont extrêmement élevées », avant d’insister sur d’autres points tout aussi centraux :
« La mort des civils, quels que soient leur âge, leur sexe et leur appartenance, est tragique et inacceptable. « Nous dénonçons ces pertes humaines et appelons à la protection et à la sécurité de toutes les populations civiles. MF appelle la communauté internationale à s’engager pleinement en faveur d’une reprise du dialogue politique afin de faire cesser le bruit des armes et leurs conséquences désastreuses sur les populations. Nous l’appelons à soutenir tous efforts de paix et de dialogue […] MF reste également attentive à tout discours ou tentative d’importer ce conflit en France. Les citoyens français de confession musulmane et les citoyens français de confession juive ne sont aucunement responsables des violences qui se déroulent sous nos yeux. Nous souhaitons rassurer nos compatriotes juifs quant à l’engagement en ce sens de notre fédération, et plus généralement de celui des institutions musulmanes françaises, et refusons une lecture religieuse de ce conflit politique ».
Le 11 octobre, MF publie un nouveau communiqué intitulé Appel à la Paix dans lequel il « exprime sa profonde préoccupation face à la situation actuelle au Proche-Orient », et d’ajouter : « MF déplore et condamne avec vigueur la perte tragique de nombreux civils, tant du côté israélien que palestinien », appelant « l’importance de respecter le droit international et de privilégier le dialogue entre les parties en conflit pour parvenir à une résolution pacifique ». L’organisation musulmane française a profité pour rappeler son « indépendance », rejetant « les accusations mensongères à visées électoralistes par des responsables politiques d’extrême droite » :
« Nous ne sommes pas membres des Frères Musulmans, ni d’aucun mouvement ou parti. »
Enfin, dans une note interne qui nous a été envoyée, éditée le 11 octobre, à l’attention des « présidents d’associations membres, aux imams et cadres religieux », MF énumère dix points qui caractérisent la position et l’attitude qui doivent être les leur sur le thème du conflit israélo-palestinien, à savoir : la condamnation de toute atteinte aux populations civiles israéliennes et palestiniennes, la nature non pas religieuse mais politique dudit conflit, l’importance d’en référer aux résolutions de l’ONU et au droit international, la nécessité de ne pas importer le conflit pour maintenir la concorde entre les communautés présentes sur le territoire national, mentionner « la position commune des différentes confessions religieuses en France, qui prônent la paix, l’amour et la coexistence », l’appel aux musulmans à « poursuivre et soutenir les efforts humanitaires en faveur des personnes affectées », « la prudence sur les réseaux sociaux » en vérifiant les informations et en diffusant des messages de paix et de solidarité, promouvoir le dialogue interreligieux au niveau local, appeler à la paix, et encourager les prières et invocations en faveur de cette paix.
Un refus du deux poids, deux mesures en fonction de l’origine, nationalité et religion des victimes
Le point commun à l’ensemble de ces personnalités, acteurs individuels et collectifs, est, outre le fait de condamner la violence contre des civils, provenant des parties israélienne et palestinienne, d’exhorter Israël, en tant qu’État, et la communauté internationale, à (faire) cesser la colonisation, l’occupation illégale des territoires palestiniens et toutes sortes de violences commises depuis des décennies envers les civils de Gaza et de Palestine plus généralement. D’ailleurs, le territoire de Gaza est soumis à un pilonnage extrêmement meurtrier, à tous points de vue, qui n’épargne rien, ni civils, ni écoles, ni hôpitaux, etc. Si le terrorisme n’est à aucun moment justifié, il est expliqué, entre autres par l’imam Oubrou, comme le résultat dramatique de « 70 ans d’humiliation, d’oppression » :
« Expliquer ne veut pas dire justifier, mais expliquer le phénomène pour pouvoir proposer des solutions. Tant qu’il n’y a pas de paix et de justice dans cette région, malheureusement, la guerre va se poursuivre tout le temps. » 16
D’ailleurs, dès son communiqué du 10 octobre, le CFCM a souligné la responsabilité du gouvernement israélien dans la montée des périls, comme le fait que le ministre de la Défense, qualifie les Gazaouis « d’animaux », qualification qui encourage « la violence et la brutalité contre les enfants, les femmes, les personnes âgées, les personnes handicapées ; uniquement parce qu’elles sont palestiniennes ». Ce qui revient également dans les prises de position de responsables ou figures d’autorités musulmanes, c’est l’insistance sur la nécessité de considérer que la vie d’un homme ou d’une femme en vaut une autre, quelle que soit l’origine, la couleur de peau, la religion et le statut social :
« Les exactions commises de part et d’autre contre les civils doivent être condamnées avec la même force. La douleur d’une famille palestinienne est identique à celle d’une famille israélienne. Et la vie d’un enfant palestinien est aussi précieuse que celle d’une enfant israélien ».
Selon des témoignages recueillis de responsables et militants associatifs musulmans, les imams et prédicateurs traversent une période troublée et de doute, a fortiori après le passage de la loi du 24 août 2021 confortant les principes de la République : ils ne savent pas comment s’exprimer au sujet des faits de société en général et du conflit au Proche-Orient en particulier. Ils sont pris en étau : entre d’un côté la base musulmane, qui attend de leur part une position claire, à savoir certes une dénonciation morale des crimes commis le 7 octobre par le Hamas mais également une dénonciation tout aussi morale des crimes et atrocités commis par l’armée israélienne sur Gaza, et de l’autre, les pouvoirs publics, lesquels, à en croire certaines déclarations et menaces, semblent vouloir mettre au pas tout discours « musulman » réellement ou supposément trop politisé, suivant des critères flous.
Enfin, plus œcuménique, la Conférence des responsables de culte en France (CRCF), qui réunit juifs, protestants, orthodoxes, musulmans, bouddhistes, a émis un communiqué le 10 octobre où tous disent suivre « avec effroi et tristesse les actions de mort menées par le Hamas depuis la bande de Gaza et les réactions qu’elles entraînent qui ont lieu en Israël et dans la bande de Gaza » :
« Nous réprouvons la violence sous toutes ses formes et particulièrement sous sa forme terroriste, et déplorons le nombre insupportable de victimes civiles […] Nous invitons les forces politiques, religieuses, culturelles, du monde à agir pour qu’une paix juste et durable puisse se construire en Israël et en Palestine. Nous interpelons les responsables politiques de notre pays à travailler pour une action concertée de la communauté internationale. Nous appelons nos concitoyens, croyants ou non, à préserver et cultiver les relations fraternelles qui lient les uns et les autres dans le respect et l’attention mutuelle ; à rejeter fermement tout antisémitisme, tout racisme, tout mépris ou de discours de haine et de mort […] ».
Conclusion
Les autorités et figures intellectuelles musulmanes dont il a été question, qui bénéficient d’un certain écho médiatique, représentent certes des segments de la population musulmane confessante, mais n’ont évidemment aucun pouvoir, ni exercent aucun contrôle, individuel ou collectif, sur chacun des musulmans de notre pays, qui restent des êtres individuels et libres de leurs opinions. Chacun reste donc comptable de ses propres dires et actes et, à cet égard, n’engage que lui et sa responsabilité. Sur les réseaux sociaux, les blogueurs et internautes de confession musulmane ne condamnent pas systématiquement les actes terroristes du Hamas, moins en raison d’ailleurs d’une insensibilité à l’égard des victimes civiles israéliennes et d’une approbation à l’endroit du mode d’action radical, mais du fait de ce qu’ils vivent comme un deux poids deux mesures insupportable de l’État français, prompt selon eux à dénoncer les actions du mouvement islamo-nationaliste palestinien lorsqu’il commet effectivement des exactions d’une grande violence, mais peu loquace lorsqu’il s’agit de dénoncer la colonisation, l’occupation et les violations du droit international et résolutions de l’ONU de l’État d’Israël, ainsi que les bombardements aveugles que commet en ce moment même l’armée israélienne sur Gaza.
Pour citer cet article : Haoues Saniguer, "Institutions et personnalités musulmanes françaises à l’épreuve des attentats du Hamas en Israël le 7 octobre 2023", Centre Français de Recherche sur l’Irak, (CFRI), 18/10/2023, [en ligne]. https://cfri-irak.com/article/institutions-et-personnalites-musulmanes-francaises-a-lepreuve-des-attentats-du-hamas-en-israel-le-7-octobre-2023-2023-10-18
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