Mardi 6 décembre dernier, le plus ancien radiodiffuseur national du monde, la BBC, a dévoilé les noms des 100 femmes les plus inspirantes et influentes de l’année. La rédactrice en chef du média britannique, Fiona Crack, a créé cette liste en 2013, en réaction à l’affaire du viol collectif de New Delhi 1 , dans une volonté de mettre en lumière les luttes féminines, sous-représentées dans les médias. Une liste d’utilité publique dans laquelle dominent l’activisme, l’engagement et le courage dans un monde où le patriarcat s’impose comme une norme. De la sphère privée aux institutions publiques ce modèle d’organisation sociale implique par définition une différenciation fondée sur le genre. De nombreux anthropologues ont montré l’universalité de cette question, c’est-à-dire que la domination masculine est une institution enracinée dans toutes les sociétés. Citoyennes et militantes réclament depuis des décennies l’abolition de ce système et ses conséquences (discriminations, écart salarial, charge mentale, violences sexistes et sexuelles, féminicides…). Pourtant il est rarement question de l’expression ou de l’action des femmes elles-mêmes pour défendre une cause ou une idée. Ce n’est pas que les femmes sauraient moins bien faire mais plutôt que les modèles féminins restent invisibilisés alors que tous les mouvements féministes soulignent l’importance pour les femmes de disposer de modèles.

La nécessité de cette liste réside donc principalement dans sa capacité d’ériger des femmes, souvent oubliées par les médias, au rang de modèles. La BBC rappelle ainsi au monde que tous les rôles sont envisageables au féminin. Dans ce top de 2022, se trouvent majoritairement des femmes situées au cœur de conflits ayant bouleversé le monde cette année, particulièrement des Ukrainiennes et des Iraniennes, conformément à l’actualité. À l’heure où l’Iran et en particulier les femmes Kurdes font face à une vague de violence historique de la part du régime, le Centre français de recherche sur l’Irak souhaite mettre à l’honneur quatre femmes Kurdes nommées par la BBC.

Roya Piraei

À tout juste 25 ans, Roya Piraei, est le visage de la révolte de ces derniers mois en Iran et l’une des victimes des manifestations. Sa photo, posant tête rasée, cheveux dans la main sur la tombe de sa mère a ému le monde entier. La vie de cette étudiante bascule le 19 septembre dernier alors que sa mère se rend à une manifestation pour protester pacifiquement contre la mort de Mahsa Amini, elle sera abattue par les forces de sécurité iraniennes. Un médecin légiste retrouvera 167 balles dans son corps. Pour protester contre l’assassinat de sa mère, Roya Piraei improvise ce geste qu’elle ne s’explique toujours pas aujourd’hui, se coupant les cheveux à la racine devant la tombe de sa mère. Ce geste entraine l’arrestation du reste de sa famille et l’oblige à fuir l’Iran pour la France. Roya laisse derrière elle un pays dans lequel la fièvre ne retombe pas. Soulignons la portée symbolique inouïe de cette révolution dirigée par les femmes pour la vie et la dignité. Il s’agit d’une expérience sans précédent dans le monde.

Zara Mohammadi

Zara Mohammadi, a consacré plus de dix ans de sa vie à enseigner la langue et la littérature kurdes dans sa ville natale de Sanandaj en Iran.  À 28 ans, elle est l’une des membres fondatrices de l’association socioculturelle Nojin, laquelle organise des cours de langue kurde dans différentes villes iraniennes depuis plusieurs années. Il y a quelques mois cette institution civile a également apporté des soins aux personnes touchées par le séisme de la province iranienne du Lorestan. Bien que l’association bénéficie d’une licence officielle délivrée par le ministère de l’intérieur et que la Constitution iranienne autorise l’enseignement et l’utilisation de langues régionales et ethniques, la réalité iranienne est tout autre comme le prouve la condamnation prononcée par la République islamique à l’encontre de Zara Mohammadi, à une peine de 5 ans de prison, qu’elle purge depuis janvier 2022, accusée par le régime de « former un groupe contre la sécurité nationale ».

Roza Salih

Après l’exécution de son grand-père et de ses deux oncles pour s’être opposés au régime de Saddam Hussein, la famille kurde irakienne de Roza Salih trouve refuge en Écosse, en 2001 alors qu’elle n’a que 12 ans. Lycéenne, elle mène une campagne contre l’expulsion d’une amie d’école Rom Kosovare, Agnesa Murselaj et devient connue sous le nom de « Glasgow Girl ». En mai 2022 elle est élue au conseil municipal de Glasgow dans le quartier du Grand Pollok. Roza Salih, est la première réfugiée élue à un conseil en Écosse. Également co-fondatrice de l’association Scottish Solidarity With Kurdistan, Roza Salih s’est dit pleine d’espoirs, pour que sa victoire devienne une inspiration pour d’autres réfugiés et demandeurs d’asile.

Nigar Marf

Nigar Marf est infirmière en chef à l'hôpital des brûlés et de chirurgie reconstructive de l'hôpital Souleimaniye, principale unité de traitement des brûlures du Kurdistan irakien. Depuis 25 ans, cette infirmière prodigue des soins et des traitements aux femmes brûlées, que ces dernières se soient immolées par le feu en guise de protestation contre les violences domestiques dont elles sont victimes - pratique encore courante dans la région - ou que ces brûlures aient directement été le fait de violences masculines. Nigar Marf, par ses actions remplit une mission humanitaire essentielle. Son soutien et ses traitements médicaux offrent une aide psychologique aux femmes de la région. La première dame d’Irak, Shanaz Ibrahim Ahmed a par ailleurs félicité Nigar Marf pour son inclusion dans la liste de la BBC.

Alors que le peuple kurde est simultanément la cible de la Turquie et de l’Iran, les femmes kurdes continuent d’inspirer le monde par leurs luttes pour leurs droits. Aujourd’hui ces quatre personnalités de premier plan du changement, ces quatre activistes kurdes œuvrant dans l’ombre, sont enfin consacrées pour leur courage par un média internationalement reconnu.

Nous ne saurions que trop vous rappeler l’importance de vous intéresser aux histoires d’autres femmes - toutes plus méritantes les unes que les autres - incluses dans ce top 100 que vous pouvez retrouver sur le site de la BBC 2 .